Le Film du jour n°221 : Les tripes au soleil
Un film franco-italien de Claude BERNARD-AUBERT (1958) avec Grégoire Aslan, Doudou Babet, Roger Blin, Toto Bissainthe, Mara Berni, Anne Carrère, Alice Sapritch...
Souhaitons que le soleil soit bientôt au rendez-vous et gageons que certains d'entre vous profiteront de ses rayons pour se faire roussir la couenne. Même si vous aimez le soleil, n'allez quand même pas jusqu'à lui exposer vos tripes (comme le propose le titre du Film du jour). Non seulement vous risqueriez de ne pas vous en relever, mais vous louperiez le prochain Film du jour. Ce serait ballot...
Né en 1930, Claude Bernard-Aubert (Claude Orgel pour l'état civil) est le réalisateur de ces Tripes au soleil. Il avait débuté dans la vie active comme reporter de guerre en Extrême-Orient entre 1949 et 1954. De retour en France, il évoque la guerre d'Indochine dès son premier film, Patrouille de choc (1956), mais il y dépeint la cruauté du conflit avec un tel réalisme que la censure s'en mêle. Initialement intitulé Patrouille sans espoir, le film a failli être rebaptisé par le ministère de la Défense Patrouille de l'espoir afin d'en cacher son pessimisme noir... Dans ses deux films suivants, Les tripes au soleil (1958) et Les lâches vivent d'espoir (1960), le réalisateur s'attaque à dénoncer le racisme. Mais, toujours par excès de réalisme, les deux longs métrages eurent, eux aussi, à subir quelques démêlés avec la censure.
Non, ce n'est pour ou contre le mariage gay, mais pour ou contre les relations interethniques
Claude Bernard-Aubert aborde par la suite des sujets un peu plus légers. C'est le cas dans Match contre la mort (1960), basé sur un scénario de... Pierre Bellemare, animateur et présentateur TV passé à la postérité pour avoir banalisé le télé-achat en France. Le film relate l'enlèvement d'un enfant, dont les parents (Gérard Blain et Antonella Lualdi) sont sur le point de gagner "La tête et les jambes", célèbre jeu télévisé de l'époque animé par le présentateur aux bretelles !
Le réalisateur reviendra toutefois au thème de la guerre avec Les moutons de Praxos/A l'aube du troisième jour (1963), film dans lequel un petit village grec combat l'envahisseur, Le facteur s'en va-t-en guerre (1966), avec Charles Aznavour en petit facteur jeté en pleine guerre d'Indochine, et Les portes de feu (1971) avec Emmanuelle Riva, Dany Carrel, Annie Cordy et Juliette Mills en infirmières capturées par les Allemands en pleine offensive de Rommel en Afrique du Nord.
C'est en 1972 que Claude Bernard-Aubert met en scène son film, si ce n'est le meilleur, tout du moins le plus connu, L'affaire Dominici, inspiré d'un fameux fait divers de l'époque avec un Jean Gabin cabotinant de façon éhontée en vieux patriarche à la gâchette facile...
Le film le plus connu de Claude Bernard-Aubert
A partir de 1976, Claude Bernard-Aubert va toutefois radicalement changer son fusil d'épaule si l'on peut dire. Finis, les coups de semonce et place désormais aux coups de semence (oui, je sais, c'est pas terrible comme jeu de mots... heureusement les vacances arrivent... j'en peux plus...) : le réalisateur se spécialise dans le porno. Signant ses multiples "œuvres" sous le pseudonyme de Burd Tranbaree (anagramme de Bernard-Aubert) et enquillant les tournages de foufounes en folie et de zizis au zénith jusqu'en 1987, notre homme ne repassera dans le circuit "normal" que pour trois longs métrages : une comédie polissonne avec Dora Doll (Les filles du régiment, 1978), un film de guerre situé, encore une fois, en Indochine (Charlie Bravo, 1980), puis un mélodrame hautement improbable avec Marie-Christine Barrault et Bruno Cremer (Adieu, je t'aime, 1988).
Les tripes au soleil, l'histoire : La ville imaginaire de Cicada a connu son heure de gloire cinquante ans auparavant grâce au barrage qui permettait d'irriguer la région. Mais celui-ci a été détruit et Cicada n'est plus qu'une cité pauvre, partagée en deux clans irréconciliables, les Blancs et les Noirs. Un Blanc, Bob, invite une jeune Noire et quelques-uns de ses amis à une soirée dans le secteur réservé aux Blancs. Des racistes décident de donner une leçon à Bob en lui infligeant une raclée et en faisant croire à son père que ce sont des Noirs qui ont fait le coup. Les actes de violence et de représailles s'enchaînent alors...
Grégoire Aslan
C'est Grégoire Aslan (1908-1982), acteur français d'origine arménienne au visage bien connu, qui interprète le père de Bob dans Les tripes au soleil. Né à Constantinople et réfugié dans l'Hexagone, il fait ses débuts sous le nom de Coco Aslan comme batteur dans l'orchestre de Ray Ventura. Il est l'un des "Collégiens" et, à ce titre, apparaît avant-guerre dans plusieurs films où joue la célèbre formation orchestrale : Tout va très bien, madame la marquise (Wulschleger, 1936), Feux de joie (Houssin, 1938), Tourbillon de Paris (Diamant-Berger, 1939), etc.
Grégoire Aslan dans Feux de joie (Houssin, 1938) (image : www.toutlecine.com)
Passé en Amérique du Sud avec l'équipe de Ray Ventura pendant l'Occupation, il y rejoint la troupe de Louis Jouvet et démarre une carrière au théâtre. De retour en France après le conflit, il se voit confier son premier rôle dramatique au cinéma dans Hans le marin (Villiers, 1948). Grégoire Aslan décroche alors quelques rôles mémorables dont l'ignoble Ambilarès du beau film oublié de Marcel Pagliero Un homme marche dans la ville (1949) - récemment sorti en DVD chez René Chateau Vidéo -, ou l'amusant prince de Palestrie d'Occupe-toi d'Amélie (Autant-Lara, 1949), aux côtés de Danielle Darrieux.
Grégoire Aslan et Danielle Darrieux dans Occupe-toi d'Amélie (Autant-Lara, 1949) (image : www.premiere.fr)
A partir du début des années 50, Grégoire Aslan entame une carrière internationale qui le voit tourner sous la direction d'Orson Welles (Monsieur Arkadin, 1955), Jules Dassin (Celui qui doit mourir, 1957), John Huston (Les racines du ciel, 1958), Carol Reed (Notre agent à La Havane, 1959), Joseph Losey (Les criminels, 1960), Nicholas Ray (Le roi des rois, 1961), Joseph Mankiewicz (Cléopâtre, 1962) ou Henri Verneuil (La vingt-cinquième heure, 1966). En France, on le voit encore chez Claude Autant-Lara (L'auberge rouge, 1951 ; Le bon Dieu sans confession, 1953 ; Gloria, 1976), Edouard Molinaro (Une ravissante idiote, 1963, avec Brigitte Bardot) ou Claude Berri (Mazel Tov ou le mariage, 1968 ; Le cinéma de papa, 1970 ; Sex-shop, 1972).
Grégoire Aslan assassiné dans Monsieur Arkadin (Welles, 1955)