Le Film du jour n°240 : Isabelle a peur des hommes
Un film français de Jean GOURGUET (1957) avec Cathia Caro, Michel François, Roger Dumas, Simone Paris, Junie Astor...
Isabelle a peur des hommes se situe dans la dernière période de « créativité » du réalisateur français Jean Gourguet (1902-1994), un monsieur quelque peu oublié malgré une vingtaine de longs métrages tournés entre 1933 et 1961. Juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Gourguet s’était inscrit dans la mouvance d’un certain néoréalisme à l’italienne, une originalité par rapport à la production française de l’époque, réfugiée bien au chaud dans les studios. Mais le metteur en scène avait sagement pris le virage du film coquin dès 1953 avec le fameux Maternité clandestine, où il est question d’une jeune fille enceinte, future fille-mère protégée par une bande de jeunes voyous.
Le mélodrame pur jus dans lequel avait officié Jean Gourguet au début des années 50 (La fille perdue, Une enfant dans la tourmente, Le secret d’une mère) ayant perdu quelque peu de son audience, c’est avec Maternité clandestine que le réalisateur prit l’habitude de pimenter ses œuvres d’un léger érotisme, gage de succès. Pour parler clairement, Gourguet saupoudrait ses longs métrages de nibards subrepticement dévoilés (encore fallait-il être concentré et avoir le regard vif pour ne pas en louper une miette…). La première actrice à se plier à cette figure imposée fut la pulpeuse et peu farouche Dany Carrel (voir Du grabuge chez les veuves), l’héroïne, justement, de Maternité clandestine.
Dans Maternité clandestine, Jean-Pierre-Mocky dit « La Fouine » tente de violer une jeune femme enceinte de six mois (Dany Carrel) (image : www.toutlecine.com)
Cette première tentative un peu « sexe » est payante. Maternité clandestine rencontre un succès colossal. Jean Gourguet, qui travaille en famille comme un véritable artisan (sa femme est assistante et sa fille, la petite Zizi, passe parfois devant la caméra) enchaîne alors les films réservés aux moins de 16 ans, cotés « s’abstenir par discipline chrétienne » par la Centrale catholique du cinéma, et dotés de titres particulièrement attractifs. Ainsi en est-il de La cage aux souris tourné en 1954. Dany Carrel – encore elle – y est pensionnaire dans une école de jeunes filles à l’époque de l’Occupation et cache un mignon résistant aux yeux de la directrice de l’institut, acquise, elle, à la Collaboration. Une occasion pour le spectateur d’apprécier comme il se doit la demoiselle en nuisette…
C’est écrit : quarante « souris » sont à l’affiche de La cage aux souris. Ces dames apprécieront le qualificatif…
Jean Gourguet est décidément un découvreur de talents. Après avoir donné sa chance à Dany Carrel, il confie dans Les premiers outrages (1955) et Les promesses dangereuses (1956) le premier rôle féminin à Françoise Vatel, une toute jeune actrice à peine âgée de 16 ans. Une Françoise Vatel que l’on retrouvera quelques années plus tard chez Claude Chabrol (Les cousins, 1958) et Luc Moullet (Brigitte et Brigitte, 1965 ; Les contrebandières, 1967 ; La comédie du travail, 1987 ; Les naufragés de la D17, 2001) et Jean-Claude Brisseau (De bruit et de fureur, 1987).
Françoise Vatel à l'affiche des Premiers outrages de Jean Gourguet
Les premiers outrages et Les promesses dangereuses déroulent tous deux des intrigues liées aux problèmes amoureux de la jeunesse avec quelques audaces sensuelles pour l’époque. Les promesses dangereuses se voit d’ailleurs initialement interdit à l’exportation sous prétexte de présenter la jeunesse française sous un mauvais jour. Qu’importe ! Le succès est toujours là. Françoise Vatel et Jean Gourguet tourneront ensemble encore deux films : La p… sentimentale (1958) et Les frangines (1959).
Las, la Nouvelle Vague arrive et démode d’un seul coup le cinéma de Gourguet dont les films restent loin de la réalité de l’époque et détachés du contexte économique, social et politique de la fin des années 50. De fait, l’homme tourne son dernier long métrage en 1961, La traversée de la Loire. Si vous voulez en savoir plus sur Jean Gourguet, consultez le site dédié au personnage www.jean-gourguet.com.
Dora Doll dans Les frangines de Jean Gourguet
Isabelle a peur des hommes, l’histoire : Isabelle, une jeune fille élevée par sa grand-mère, part en vacances chez sa tante. Là, la pauvrette découvre les joies de l’amour, mais aussi les jalousies et les tromperies.
Selon Jean-Pierre Mocky, qui a joué sous la houlette du réalisateur dans Maternité clandestine, Jean Gourguet faisait des films « pour les boniches » et « écumait tous les cours de théâtre pour trouver de la chair fraîche ». Une fois embauchées, les jeunes filles étaient néanmoins soumises à une discipline de fer et bouclées toutes les nuits pendant les tournages. Pour Gourguet, la règle était claire et sans appel : ce n’était que sur l’écran qu’elles devaient se conduire mal.
Cathia Caro, l’héroïne d’Isabelle a peur des hommes, n’a pas dû faire exception à la règle, on s’en doute. D’autant que la demoiselle, née en 1943, faisait là ses premiers pas au cinéma et qu’elle n’avait que 14-15 ans. Ce n’est toutefois qu’un an plus tard que Cathia Caro allait accéder au statut de vedette (débutante) en donnant la réplique à Jean Marais dans La Tour, prends garde (1957) de Georges Lampin, puis en interprétant la fille d’Arletty et de Bourvil et la fiancée de Jean-Paul Belmondo dans Un drôle de dimanche (1958) de Marc Allégret, autre découvreur de jeunes talents (voir L'abominable homme des douanes).
Jean Marais et Cathia Caro dans La Tour, prends garde (Lampin, 1957)
D’une timidité quasi-maladive (cf. cette interview de Cathia Caro par le volubile journaliste François Chalais lors du festival de Cannes 1958), la jeune actrice ne persévérera guère longtemps dans la carrière cinématographique. Outre dans les trois films précités, on ne la verra guère occuper que des rôles secondaires dans cinq ou six longs métrages coproduits par l’Italie. Le plus important d’entre eux reste Eté violent (1959) de Valerio Zurlini avec Jean-Louis Trintignant et la sublime Eleonora Rossi-Drago (voir Dans les replis de la chair). Elle joue également aux côtés de Toto, Aldo Fabrizi et Louis de Funès dans la comédie Fripouillard et Cie (Steno, 1959).
Dans Fripouillard et Cie (Steno, 1959), le nom de Cathia Caro arrive juste après les noms des trois grands comédiens que sont Fabrizi, Toto et de Funès
Après deux péplums tournés en Italie (Le géant de Thessalie, Freda, 1960, et Le triomphe de Maciste, Anton, 1961), Cathia Caro disparaît complètement des radars du monde du cinéma. Nul ne sait ce qu’elle est devenue depuis…