Le Film du jour n°252 : Marie-Chantal contre le docteur Kha
Un film franco-italo-ibéro-marocain de Claude CHABROL (1965) avec Marie Laforêt, Stéphane Audran, Serge Reggiani, Roger Hanin, Akim Tamiroff, Charles Denner, Francisco Rabal...
Promulgué figure emblématique de la Nouvelle vague française grâce au Beau Serge (1957) et aux Cousins (1958), le regretté Claude Chabrol, décédé le 12 septembre 2010 à l’âge de 80 ans, a connu lui aussi une période que l’on peut qualifier aimablement de « commerciale ». De fait, les échecs critiques et publics de la plupart de ses premiers films (Les bonnes femmes, 1959 ; Les godelureaux, 1960 ; L’œil du malin, 1961 ; Ophélia, 1961) le conduisirent au milieu des années 60 à tourner des œuvres délibérément grand public. Ce qui ne déplaisait pas forcément à Chabrol, l’homme avouant même être intéressé par un cinéma plus commercial.
Claude Chabrol (chaussant lunettes) sur le tournage des Godelureaux en 1960
Avec le concours de Roger Hanin, le réalisateur crée en 1964 le personnage du Tigre, un agent secret légèrement parodique qui rencontre un succès suffisamment important pour donner naissance à un diptyque : Le Tigre aime la chair fraîche (1964) et Le Tigre se parfume à la dynamite (1965). Un troisième volet non officiel, intitulé joyeusement Le Tigre sort sans sa mère, sera signé par l’Italien Mario Maffei.
C’est donc entre les tournages de ses deux Tigres que Chabrol crie « Moteur » à Marie-Chantal contre le Docteur Kha. Nous sommes là encore au rayon espionnage, mais le gros Roger laisse place à une femme du monde délurée jouée par Marie Laforêt et inspirée du personnage de Parisienne snob créé par Jacques Chazot (1928-1993) en 1956 avec « Les carnets de Marie-Chantal ».
A peu près à la même époque, Claude Chabrol s’implique aussi dans des films à sketches, une grande spécialité des années 60 et 70 qui était censée additionner les talents de différents metteurs en scène mais qui aboutissait, à quelques exceptions près, à un gloubiboulga assez indigeste pour le spectateur. Chabrol participe ainsi aux Sept péchés capitaux (1961) en signant le sketch consacré à l’avarice, aux Plus belles escroqueries du monde (1963) et à Paris vu par… (1965), une œuvre où plusieurs cinéastes de la Nouvelle vague ou proches du mouvement (Pollet, Rouch, Douchet, Rohmer, Godard et Chabrol) filment différents quartiers de la capitale.
Roger Hanin joue les espions de pacotille dans Le Tigre se parfume à la dynamite (Chabrol, 1965) avec, aussi et surtout, la sulfureuse Margaret Lee
C’est avec Les biches (1967) et, surtout, La femme infidèle (1968) que Claude Chabrol entamera sa grande période consacrée à des études réalistes et psychologiques de la bourgeoisie française, essentiellement provinciale. Avec des chefs-d’œuvre comme Que la bête meure et Le boucher, tous deux mis en boîte en 1969 avec, dans les deux cas, un Jean Yanne extraordinaire.
Marie-Chantal contre le Docteur Kha, l’histoire : Dans le train qui l'emmène en Suisse, Marie-Chantal est abordée par un inconnu qui lui confie un bijou, une panthère dont les yeux sont sertis de rubis. L’inconnu est assassiné et des espions surgissent de tous côtés à la recherche du bijou dont le pouvoir est terrible : les rubis sont faux et contiennent un poison concocté par le docteur Kha et qui peut détruire toute vie sur terre. Diantre ! Rebondissements, humour et charme sont réunis pour ce film d’espionnage parodique. Le critique et historien Joël Magny y a même découvert une réflexion sur la traversée des apparences et le néant existentiel…
Marie Laforêt
C’est Marie Laforêt (que l’on connaît peut-être plus pour ses chansons et ses succès au théâtre) qui endosse les robes et les tenues de Marie-Chantal. Née Maïténa Doumenach le 5 octobre 1939, la jeune femme avait démarré sa carrière de comédienne un peu par hasard. La légende veut qu’en remplaçant sa sœur au pied levé, elle gagne en 1959 le concours « Naissance d’une étoile » organisé par Europe 1. Repérée par le directeur de théâtre Raymond Rouleau, Marie Laforêt prend des cours de comédie. Sa beauté et ses yeux magnifiques font le reste : elle est enrôlée pour jouer Marge dont le cœur balance entre Alain Delon et Maurice Ronet dans Plein soleil (Clément, 1959).
Les prestations sur grand écran s’enchaînent alors assez rapidement pour l’actrice… d’autant qu’elle épouse le metteur en scène et ancien opérateur Jean-Daniel Albicocco. C’est donc tout naturellement que Marie Laforêt se voit confier le rôle-titre de La fille aux yeux d’or, film réalisé en 1960 par son époux et lointaine adaptation du roman éponyme de Balzac. Elle y joue une belle (évidemment) inconnue dont tombe amoureux un photographe de mode alors qu’elle est en réalité la tendre amie de la maîtresse de ce dernier (oui… c’est un peu tordu…).
Marie Laforêt émarge également au casting du Rat d’Amérique (1962), adaptation cette fois-ci d’un roman de Jacques Lanzmann et seconde réalisation de Jean-Gabriel Albicocco. Signalons que ce dernier est surtout connu pour son troisième film, Le grand Meaulnes (1966), avec… Brigitte Fossey (eh oui, Marie Laforêt et lui s’étaient déjà séparés).
Maurice Ronet, Marie Laforêt et Alain Delon dans Plein soleil (Clément, 1959)
A la même époque, Marie Laforêt passe aussi devant les caméras de Michel Boisrond (Amours célèbres, 1961), Léonard Keigel (Léviathan, 1961), Michel Deville (A cause, à cause d’une femme, 1962), Edouard Molinaro (La chasse à l’homme, 1964), Pierre Grimblat (Cent briques et des tuiles, 1964) ou Valerio Zurlini (Des filles pour l’armée, 1965).
Mais la jeune femme a sorti son premier 45 tours en 1963 et, les succès discographiques s’enchaînant, elle va s’éloigner du cinéma. Hormis une apparition en mère du Petit Poucet dans l’adaptation du conte de Perrault réalisée par Michel Boisrond en 1972, Marie Laforêt ne fera son retour sur grand écran que face à Belmondo dans Flic ou voyou de Georges Lautner en 1978. Année où elle prend la nationalité suisse, s’installe à Genève, ouvre une galerie d’art et devient (aussi) commissaire-priseur.
Dans les années 80, Marie Laforêt revient régulièrement jouer devant les caméras mais on la voit essentiellement dans des comédies pas toujours très fines tels Les diplômés du dernier rang (Gion, 1982), Que les gros salaires lèvent le doigt (D. Granier-Deferre, 1982), Les Morfalous (Verneuil, 1984) ou Joyeuses Pâques (Lautner, 1984).
D’un tempérament exalté, elle n’hésite pas à jouer l’épouse nymphomane de Patrick Sébastien dans Le pactole (Mocky, 1985) et une tenancière de bordel dans Fucking Fernand (Mordillat, 1987). Marie Laforêt participe aussi à l’aventure de Tangos, l’exil de Gardel (Solanas, 1985), film dans lequel des émigrés argentins tentent de monter un spectacle à Paris.
Marie Laforêt dans Les morfalous (Verneuil, 1984)
Durant la décennie 1990 où elle triomphe au théâtre (elle récolte deux nominations aux Molière de la meilleure comédienne pour son interprétation de Maria Callas), Marie Laforêt se fera de plus en plus rare au cinéma. Cinq films seulement sont à mettre à son actif dont Ainsi soient-elles (1994), une œuvre réalisée par Patrick Alessandrin et Lisa Azuelos qui n’est autre que le propre fille de l’actrice, née de son mariage au milieu des années 60 avec l’homme d’affaires Judas Azuelos.
Depuis, Lisa Azuelos est devenue une réalisatrice à succès grâce à LOL (Laughing Out Loud) (2007) avec Sophie Marceau.
Quant à Marie Laforêt, après une absence de dix ans sur grand écran, on l’a revue en novembre 2008 dans les salles obscures. Elle est au nombre des nombreuses actrices françaises convoquées par Claire Simon dans Les bureaux de Dieu (2007), film d’intérêt public consacré au planning familial.