Michel Piccoli (1925-2020)
Il avait travaillé avec les réalisateurs les plus reconnus mondialement, de Jean Renoir (French Cancan, 1954) et René Clair (Les Grandes manœuvres, 1955) à Nanni Moretti (Habemus Papam, 2010) en passant par Luis Buñuel (Le Journal d’une femme de chambre, 1963 ; Belle de jour, 1966), Jean-Luc Godard (Le Mépris, 1963), Alain Resnais (La Guerre est finie, 1965), Alfred Hitchcock (L’Étau, 1969), Marco Ferreri (La Grande bouffe, 1973), Youssef Chahine (Adieu Bonaparte, 1984), Manoel de Oliveira (Je rentre à la maison, 2001) et Theo Angelopoulos (La Poussière du temps, 2008). Michel Piccoli, qui était né la même année que Paul Newman, Jack Lemmon, Tony Curtis, Peter Sellers, Richard Burton et Rock Hudson, est décédé le 12 mai 2020 à l’âge de 94 ans.
Avec quelque 180 longs métrages au compteur, la carrière cinématographique de Michel Piccoli est monumentale. Reconnu internationalement dès 1963 grâce au rôle du scénariste Paul Javal face à Brigitte Bardot dans Le Mépris (photo ci-contre), l’acteur s’impose au cours des décennies 1960 et 1970 dans le cinéma français, aussi bien dans la mouvance qui se réclame de la Nouvelle Vague (Vecchiali, Aurel, Varda, Cavalier, De Broca, Chabrol…) que dans des films d’auteur et des comédies dramatiques caractéristiques des années Pompidou-Giscard. Michel
Piccoli est le fameux monsieur Dame, ex-amoureux de Danielle Darrieux dans Les Demoiselles de Rochefort (1966) de Jacques Demy (qu’il retrouvera dans Une chambre en ville, 1982), le comte Philippe de Saint-Germain, amant de Catherine Deneuve, dans Benjamin ou les mémoires d’un puceau (1967) de Michel Deville (avec qui il tournera aussi La Femme en bleu, 1972, Péril en la demeure, 1984, et Le Paltoquet, 1986), l’architecte victime d’un accident de la route dans Les Choses de la vie (1969) de Claude Sautet avec Romy Schneider.
Avec Sautet, Piccoli travaillera à cinq reprises dans des films qui font aujourd’hui partie du patrimoine du cinéma français. Après Les Choses de la vie, les deux hommes se retrouveront dans Max et les ferrailleurs (1970), César et Rosalie (1971), Vincent, François, Paul et les autres (1974), le seul sans Romy Schneider, et Mado (1976).
Fidèle aux réalisateurs français de cette époque, le comédien tourne quatre films avec Jacques Rouffio (Sept morts sur ordonnance, 1975 ; Le Sucre, 1978 ; La Passante du Sans-Souci, 1981, face encore à Romy Schneider ; Mon beau-frère a tué ma sœur, 1986), trois longs métrages avec Yves Boisset (L’Attentat, 1972 ; Espion lève-toi, 1981 ; Le Prix du danger, 1983, où il est remarquable en animateur de jeu télévisé cynique), trois films avec Francis Girod (Le Trio infernal, 1973, à nouveau avec Romy Schneider ; René la Canne, 1976 ; L’Etat sauvage, 1977), deux films avec Claude Chabrol (La Décade prodigieuse, 1971 ; Les Noces rouges, 1972).
Mais c’est avec le réalisateur italien Marco Ferreri que Michel Piccoli collaborera le plus, avec sept films ensemble, de Dillinger est mort (1968) à Y a bon les blancs (1987) en passant par Liza (1971), L’Audience (1971), La Grande bouffe (photo ci-contre), Touche pas à la femme blanche (1973) et La Dernière femme (1975). Buñuel suit juste derrière avec six films : La Mort en ce jardin (1956), Le Journal d’une femme de chambre, Belle de jour, La voie lactée (1968), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), Le Fantôme de la liberté (1976).
Dans les années 1980, Michel Piccoli tourne avec Jacques Doillon (La Fille prodigue, 1980, où il est le père de Jane Birkin ; La Puritaine, 1986, avec Sandrine Bonnaire), Ettore Scola (La Nuit de Varennes, 1981), Claude Lelouch (Viva la vie, 1983 ; Partir, revenir, 1984), Jerzy Skolimowski (Le Succès à tout prix, 1984), Leos Carax (Mauvais sang, 1986)…
Au cours de cette période on retiendra aussi le frère oppressant d’Anouk Aimée dans Le Saut dans le vide (1979) de Marco Bellochio qui lui vaut le prix d’interprétation au festival de Cannes, le patron cynique et envahissant de Gérard Lanvin dans Une étrange affaire (1981) de Pierre Granier-Deferre, qui lui permet d’empocher l’Ours d’argent du meilleur acteur au festival de Berlin, le rêveur et épicurien dont la mère décède en plein mai 68 dans Milou en mai (1989) de Louis Malle, le peintre tourmenté de La Belle Noiseuse (1991) de Jacques Rivette, le Monsieur Cinéma d’Agnès Varda dans Les Cent et une nuits (1994), l’époux de Sylvie Vartan dans L’Ange noir (1994) de Jean-Claude Brisseau, le gourou suicidaire de Généalogies d’un crime (1996) de Raoul Ruiz.
En 1997, Michel Piccoli était passé à la réalisation de longs métrages avec l’essai psychologique Alors voilà, qui sera suivi de La Plage noire (2001) avec à nouveau Dominique Blanc et C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé (2004). A noter que l’acteur, qui mena parallèlement une grande carrière au théâtre, a parfois joué dans des films de "genre" inclassables comme Danger : Diabolik (1967) de Mario Bava ou Themroc (1972) de Claude Faraldo où les dialogues se limitent à des grognements, des cris et des hurlements et où il est un anti-héros qui se révolte contre la société et convainc tous les habitants de son immeuble à se joindre à sa rébellion. Présenté au festival du film fantastique d’Avoriaz, le film y gagna le Prix spécial du jury et Piccoli le prix du meilleur acteur, l’année où Duel de Spielberg repartait avec le Grand prix.
On ne peut terminer cet hommage à Michel Piccoli sans citer Catherine Deneuve qui partagea une dizaine de fois l'affiche avec l'acteur, depuis Les Créatures d'Agnès Varda (1965) jusqu'à Je rentre à la maison, en passant par Les Demoiselles de Rochefort, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, La Chamade (1968) d'Alain Cavalier (photo ci-dessus), Liza, L'Audience, Touche pas à la femme blanche, Les Cent et une nuits et Généalogies d'un crime. "Nous adorions nous retrouver, a confié l'actrice aux Inrockuptibles. Un lien intime, une compréhension mutuelle, un amusement à être ensemble, se remettaient immédiatement en place à chaque fois que nous tournions ensemble."
Marié à la scénariste Ludivine Clerc, Michel Piccoli avait été l'époux de l’actrice Eléonore Hirt, décédée en 2017, et à la chanteuse (et actrice) Juliette Gréco.