Le Film du jour n°138 : Pas de pitié pour les femmes
Un film français de Christian STENGEL (1950) avec Simone Renant, Michel Auclair, Marcel Herrand, Geneviève Page, André Versini, Robert Vattier...
Pourquoi en vouloir autant à ces dames ? On peut comprendre qu'on n'éprouve Pas de pitié pour les maris (Norman Foster, 1949), Pas de pitié pour les caves (Henri Lepage, 1956), Pas de pitié pour Ringo (Marchent, 1967), Pas de pitié pour les salopards (Stegani, 1968), Pas de pitié pour les héros (Klimovski, 1969), voire, à la rigueur, Pas de pitié pour les pauvres (San Miguel, 1999)... Mais il est difficile de saisir le besoin qu'ont certains de s'attaquer à la gent féminine... Sauf dans les films où ces délicieuses créatures cachent une âme noire et un cœur de pierre sous un visage d'ange et une plastique de rêve et qu'elles sont prêtes aux pires vilenies (enlever leur soutien-gorge par exemple...) pour arriver à leurs fins. Et là, pas de pitié pour les femmes ! Non mais !
Réalisateur de Pas de pitié pour les femmes, Christian Stengel (1903-1986), qui fut directeur du département de la production de Pathé entre 1941 et 1945, a signé une douzaine de films entre 1938 et 1956. On lui doit, avant-guerre, La famille Duraton (1939), un long métrage inspiré d'une célèbre émission radiophonique de l'époque et interprété par Noël-Noël et Blanchette Brunoy. Juste avant, il avait tourné Je chante (1938) avec Charles Trenet en vedette ; c'était la première fois que le "fou chantant" se produisait devant une caméra.
Signée par Christian Stengel en 1939, La famille Duraton est la première adaptation sur grand écran de la célèbre émission radiophonique du même nom (image : www.cinema-francais.fr)
Après la guerre, Christian Stengel s'est spécialisé dans les polars : Seul dans la nuit (1945) avec Bernard Blier, Rome-Express (1949), Pas de pitié pour les femmes (1950), Minuit, quai de Bercy (1952) avec Erich von Stroheim. Également à son actif, un film sur la romance entre Franz Liszt et George Sand (Rêves d'amour, 1946) avec Pierre-Richard Willm et Mila Parély, des mélodrames (Le village perdu, 1947, avec Gaby Morlay ; La figure de proue, 1949, avec Madeleine Sologne) ainsi que plusieurs comédies : Mourez, nous ferons le reste (1954) avec Magali Noël, Casse-cou Mademoiselle (1954) avec Rosy Varte et Marthe Mercadier (le sex appeal au summum...), et Vacances explosives (1956) avec Raymond Bussières et Arletty.
L'avant-dernier film réalisé par Christian Stengel. Toute une époque ! (image : www.cinema-francais.fr)
Pas de pitié pour les femmes, l'histoire : Le riche industriel Alain de Narbois a disparu. Michel Dunant, un désœuvré qui passait par là et qui ressemble trait pour trait au disparu, est pris pour Alain par une jeune femme et son domestique. Il saute sur l'occasion mais s'aperçoit vite que, dans ce petit monde feutré, maîtres et domestiques jouent la comédie et savent très bien qu'il n'est qu'un sosie d'Alain. En fait, l'industriel a été assassiné... Le jeu de dupes peut commencer...
Michel Auclair (image : www.joubernet.fr)
Dans Pas de pitié pour les femmes, Alain/Michel est interprété par Michel Auclair, un acteur qui a joué les lâches et les salauds plus souvent qu'à son tour.
Né Wladimir Vujovic en 1922 d'un père serbe et d'une mère française, Michel Auclair entre en 1940 au Conservatoire de Paris d'où il est renvoyé pour indiscipline. Un accroc qui ne l'empêche pas de monter rapidement sur les planches et d'y faire de brillants débuts auprès de Jean-Louis Barrault. Les pièces de Claudel, de Cocteau et d'Ibsen se succèdent. Ses débuts au cinéma, c'est en 1945 qu'il les fait dans le rôle du cousin Paul pour Les malheurs de Sophie de Jacqueline Audry.
Michel Auclair (au centre) dans Les maudits (R. Clément, 1947)
Jean Cocteau, qui l'a remarqué sur scène, lui confie aussi la même année un petit rôle dans La belle et la bête. Séduit par le jeu de l'acteur, René Clément, qui est le conseiller technique de Cocteau sur La belle et la bête, l'engage pour Les maudits (1947), l'histoire d'un sous-marin qui emporte vers l'Amérique du sud un lot peu ragoûtant de collabos et de nazis. Michel Auclair y joue un gestapiste traqué, à la fois élégant et minable. Le pli est pris et, dans la foulée, Henri-Georges Clouzot lui confie le rôle d'un dénommé Dégrieux dans Manon (1949), transposition du fameux roman de l'abbé Prévost dans l'époque glauque de la Libération. Aux côtés de Cécile Aubry/Manon, Michel Auclair est excellent.
Michel Auclair, Cécile Aubry et Henri Vilbert dans Manon (Clouzot, 1949)
Les réalisateurs réputés de l'après-guerre lui font alors appel : Christian-Jaque pour Singoalla (1949), André Cayatte pour Justice est faite (1950), Julien Duvivier pour La fête à Henriette (1952), Henri Decoin pour Bonnes à tuer (1954) - Michel Auclair y interprète un arriviste bien décidé à zigouiller l'une de ses convives lors d'une soirée où, adepte du bon goût, il a invité son ex-femme, son épouse, sa maîtresse et celle qu'il compte bientôt épouser -. L'acteur côtoie également Jean Gabin dans Maigret et l'affaire Saint-Fiacre (Delannoy, 1959).
Michel Auclair et Danielle Darrieux dans Bonnes à tuer (Decoin, 1954) (image : www.allocine.fr)
Michel Auclair reste toutefois cantonné dans des seconds rôles et, quand la Nouvelle vague arrive, ce sont des "seconds couteaux" qui requièrent ses services comme Alexandre Astruc (L'éducation sentimentale, 1961), Roger Leenhardt (Rendez-vous de minuit, 1961) ou Pierre Kast (Vacances portugaises, 1963).
A partir des années 70, Michel Auclair se fait plus discret au cinéma, préférant se consacrer au théâtre (chez Planchon notamment) et à la télévision. On notera toutefois sa présence dans des films à succès comme Chacal (Zinnemann, 1972), Sept morts sur ordonnance (Rouffio, 1975), Le juge Fayard dit le Shérif (Boisset, 1976), Trois hommes à abattre (Deray, 1980) et La peau d'un flic (Delon, 1981).
Michel Auclair dans Rue Barbare (Béhat, 1984) (image : cineclap.free.fr)