L’œil de Crazy Bug : Suspiria

Un film de Luca Guadagnino (2017), sorti en salles le 14 novembre 2018
Quelle gageure de tenter, 40 ans après, un remake de Suspiria, le film à la fois terrifiant, expérimental et sensoriel réalisé par Dario Argento ! Le pari de Luca Guadagnino est toutefois plutôt réussi car le cinéaste italien ne garde que la trame du chef-d'oeuvre de son aîné sans chercher à le copier, et revisite l'histoire de cette école de danse, véritable gynécée dirigé par des sorcières, en la replaçant dans un contexte historique précis : le Berlin des années 1970, scindé en deux par le Mur, secoué par les actions de la bande à Baader et encore marqué par les cicatrices du nazisme.
La barque est certes peut-être un peu trop chargée, mais le réalisateur s'en sort par le haut grâce au climat particulièrement oppressant (sans être horrifique) du film, son jusqu'au-boutisme dans la représentation des corps martyrisés dans la pratique de la danse (et par la volonté des sorcières) et par un casting haut de gamme dominé par la toujours épatante Tilda Swinton (dans un double rôle...).
Jouée ici par la rassurante Dakota Johnson, l'héroïne de Suspiria, Suzy Bannion, n'a pas la fragilité craintive de la délicate Jessica Harper de la version 1976 (qui fait une apparition dans le film en... fantôme du passé), mais ce choix s'explique par la conclusion qu'a voulu donner Luca Guadagnino au film (nettement moins ambiguë que celle du long métrage d'Argento). Conclusion qu'on pourra trouver grand-guignolesque.
On notera enfin que le réalisateur a voulu mettre en avant ses sources d'inspiration en retenant des actrices venues d'un certain cinéma allemand et néerlandais des années 1970 (Ingrid Caven, égérie de Fassbinder, Angela Winkler, célébrée chez Schlöndorff, Renée Soutendjik, vue chez Paul Verhoeven...). Une expérience donc qu'on pourra apprécier... ou pas.
Crazy Bug