Le Film du jour n°183 : Têtes vides cherchent coffre plein
Titre original : The Brink's Job
Un film américain de William FRIEDKIN (1978) avec Peter Falk, Peter Boyle, Allen Garfield, Warren Oates, Paul Sorvino, Gena Rowlands...
Autant le dire tout de suite : Têtes vides cherchent coffre plein n'a guère ajouté à la notoriété de son réalisateur, William Friedkin, autrement plus connu pour les deux méga-succès internationaux que sont French Connection (1971) et L'exorciste (1973)... Si Friedkin s'est retrouvé à la direction de cette "petite" comédie, c'est parce que Le convoi de la peur (a.k.a. The Sorcerers) (1977), son long métrage précédent, fort coûteux et très ambitieux, s'était littéralement vautré au box-office et qu'il lui fallait regagner la confiance des producteurs.
Remake du célèbre Salaire de la peur (1953) de Clouzot, avec Roy Scheider et Bruno Cremer, Le convoi de la peur est pourtant considéré par certains critiques de cinéma (ceux de Positif en tête) comme le film le plus personnel de William Friedkin...
Peter Falk dans Têtes vides cherchent coffre plein
Né en 1935, le réalisateur avait débuté sa carrière à la télévision en tournant de nombreux documentaires. Il y avait également réalisé quelques épisodes de la série Alfred Hitchcock présente... A cet égard, Peter Biskind rapporte une anecdote dans son ouvrage intitulé Le nouvel Hollywood : "Le jour où il rencontra Hitchcock, qui venait filmer sa célèbre introduction aux épisodes, les seuls mots que le célèbre metteur en scène eut pour le jeune réalisateur furent : "Mr. Friedkin, vous ne portez pas de cravate". Friedkin pensait qu'il plaisantait, mais ce n'était pas le cas".
William Friedkin en 2000
William Friedkin quitte la télévision en 1967 pour réaliser son premier long métrage intitulé Good Times, vague plagiat des films des Beatles... mais ici avec le couple de chanteurs Sonny & Cher. Le tout se soldera par un bide retentissant mais ce premier essai n'en sera pas moins suivi de trois adaptations de pièces de théâtre pour le cinéma, dont Les garçons de la bande en 1970, huis clos assez en avance sur son époque puisque se passant dans le milieu homosexuel. Au même moment, Friedkin fréquentait Kitty Hawks, la fille du grand Howard Hawks (le metteur en scène de films aussi célèbres et célébrés que Le port de l'angoisse, Le grand sommeil, Les hommes préfèrent les blondes ou Rio Bravo). Le jeune réalisateur eut donc l'occasion de rencontrer son illustre aîné qui affichait alors plus de 70 ans au compteur.
Selon Peter Biskind, Hawks lui dit : "Je ne sais pas pourquoi tu fais des films comme ça. Les gens n'en ont rien à foutre des problèmes des autres, de toutes ces merdes psychologiques. Ce qu'ils veulent, c'est de l'action. Chaque fois que j'ai fait un film qui bougeait, avec plein de bons et de méchants, ça a eu beaucoup de succès". "Ce jour-là, ça a été comme si quelqu'un m'avait donné une clé alors que j'ignorais qu'il existait une serrure, avoue Friedkin. Et ça a donné... French Connection".
Bien lui en a pris puisqu'il décroche l'Oscar du meilleur réalisateur pour ce film en 1972, au nez et à la barbe de Stanley Kubrick (Orange mécanique, 1971), Norman Jewison (Un violon sur le toit, 1971), Peter Bogdanovitch (La dernière séance, 1971) et John Schlesinger (Un dimanche comme les autres, 1971). French Connection reçoit aussi l'Oscar du meilleur film, tandis que Gene Hackman, l'acteur principal du film, repart avec l'Oscar du meilleur acteur.
Toute la fine équipe de bras cassés de Têtes vides cherchent coffre plein
Têtes vides cherchent coffres pleins, l'histoire : Elle s'inspire d'un fait divers authentique, le hold-up mythique de la compagnie de transports de fonds Brink's en 1950 par une bande de bras cassés. L'idée d'adapter l'histoire pour en faire un film est à mettre au compte du producteur Dino de Laurentiis qui estimait que, si le casse du siècle avait rapporté gros à ses protagonistes (deux millions de dollars), il pouvait rapporter aussi un bon paquet de biffetons à qui le transposerait sur grand écran... Un raisonnement frappé au coin du bon sens !
Le film tente de montrer comment de petites frappes sans envergure purent déjouer une institution comme le FBI qui dépensa 29 millions de dollars pour alpaguer les responsables du vol et pour finalement récupérer... 50 000 dollars en tout et pour tout ! A noter la présence au générique du couple "cassavetien" par excellence, Peter Falk et Gena Rowlands, qui avaient déjà été mari et femme dans Une femme sous influence (Cassavetes, 1974).
Al Pacino dans La chasse (a.k.a. Cruising) (1980) de William Friedkin
Après Têtes vides cherchent coffre plein, William Friedkin retrouve des sujets plus ambitieux et, surtout, nettement plus noirs, violents voire malsains... Des domaines où le réalisateur excelle ! Dans les années 1980, notre homme signe quasiment coup sur coup deux films considérés aujourd'hui comme des œuvres cultes : Cruising/La chasse (1980) et Police fédérale Los Angeles (1985). Le premier raconte la plongée d'un flic infiltré dans le milieu gay SM et lancé à la recherche d'un tueur en série. Même si les relations entre Al Pacino et Friedkin virèrent au vinaigre sur le tournage, il faut quand même reconnaître que l'acteur y est impressionnant.
William Petersen et John Pankow dans Police fédérale Los Angeles (1985) de William Friedkin (image : www.toutlecine.com)
Avec William Petersen et William Dafoe au casting, Police fédérale Los Angeles narre, sur le mode désespéré et avec un ton insolite, la lutte à mort entre un policier suicidaire et un faussaire assassin. "Un thriller où tout le monde trompe tout le monde", résume Jean Tulard dans son Guide des films.
Par la suite, William Friedkin bouclera notamment, dans une relative indifférence, Le sang du châtiment (1988), long métrage sur le phénomène des sectes avec Martin Sheen, La nurse (1990), un film d'horreur, Jade (1995), un thriller dans la lignée de Basic Instinct avec Linda Fiorentino, L'enfer du devoir (2000), avec Samuel L. Jackson en ancien du Vietnam passant en cour martiale pour avoir tiré sur des émeutiers au Yémen, et Traqué (2003) avec Tommy Lee Jones et Benicio del Toro.
Mais le réalisateur est revenu au premier plan avec le film de fiction Bug (2006), très favorablement accueilli par la critique et le public. Le film décrit la descente aux enfers d'une femme marginale (une Ashley Judd remarquable) qui recueille chez elle un vétéran de la guerre du Golfe paranoïaque (Michael Shannon, déjà impressionnant, bien avant Take Shelter). Une œuvre totalement maîtrisée qui plonge le spectateur dans l'effroi le plus total. Midinettes, fleurs bleues, cœurs tendres et amateurs de Sissi s'abstenir ! A suivi Killer Joe (2011), une autre perle avec Matthew McConaughey et Emile Hirsch.
William Friedkin sur le tournage de Bug (2006) (image : © Collection AlloCine/www.christophel.fr)
Côté vie privée, William Friedkin a été marié quatre fois. Sa première épouse (1977-1979) n'est autre que notre Jeanne Moreau à nous, qui, elle, en était à son troisième mariage. Friedkin passa ensuite la bague au doigt de l'actrice britannique Lesley-Anne Down (1982-1985), dont il eut un fils, puis à celui de l'actrice américaine Kelly Lange (1987-1990), rencontrée sur le tournage de La passe du siècle (Friedkin, 1983). Le réalisateur est marié depuis 1991 à Sherry Lansing, qui devint en 1992 la présidente du studio Paramount. Friedkin a également eu un fils de sa liaison avec la danseuse australienne Jennifer Nairn-Smith (entraperçue dans Riches et célèbres de Cukor en 1981). Bref, un beau palmarès à tous les niveaux !