Le Film du jour n°84 : Pas un mot à la reine mère
Un film français de Maurice CLOCHE (1946) avec Suzanne Dehelly, Daniel Clérice, André Brunot, Liliane Bert, Pierre Bertin...
Non, je ne ferai pas de jeu de mots crétin sur le nom de famille du réalisateur de Pas un mot à la reine-mère... Ce serait trop facile. D'autant que Maurice Cloche (1907-1990) ne le fut pas tant que ça, puisqu'il fonda en 1940 le Centre artistique et technique des jeunes du cinéma, qui devint quelques années plus tard l'IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), aujourd'hui la Fémis.
Maurice Cloche fit ses débuts au cinéma en tant qu'acteur (Le grillon du foyer, Boudrioz, 1933 ; Cessez le feu, de Baroncelli, 1934) avant d'accéder à la réalisation en 1937 avec Ces dames aux chapeaux verts, inspiré du célèbre (et inusable) roman éponyme de Germaine Acremant déjà adapté en 1929 par André Berthomieu et qui sera à nouveau porté à l'écran par Fernand Rivers en 1948... Dans la foulée, il enchaîna sur Le petit chose (1938) d'après Alphonse Daudet. Le rôle-titre y est interprété par l'acteur Robert Lynen qui avait incarné Poil de carotte pour Julien Duvivier en 1932 et qui, entré dans la Résistance, mourut à la fleur de l'âge à 23 ans, fusillé par les Allemands.
Maurice Cloche signa en 1938 l'adaptation du célèbre roman d'Alphonse Daudet (image : www.cinema-francais.fr)
C'est toutefois avec Monsieur Vincent (1947), Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1948, que Maurice Cloche accéda à la célébrité et à la postérité (n'ayons pas peur des mots...). Le réalisateur y déroule sous nos yeux ébahis la vie édifiante de Vincent de Paul, curé, fondateur d'hôpitaux et d'hospices pour les déshérités et grand bienfaiteur des pauvres. Le saint homme est joué par l'ami Pierre Fresnay, qui, dans la vraie vie, avait un petit faible pour la bouteille.
En fait, l'imagerie d’Épinal et la ferveur saint-sulpicienne, c'est son truc à Maurice Cloche ! Après Monsieur Vincent, il livre un Docteur Laënnec (1948) du même tonneau, mais nettement moins bien (avec Pierre Blanchar dans le rôle de l'inventeur du stéthoscope), puis signe en 1952 Moineaux de Paris, une hagiographie des Petits chanteurs à la croix de bois !!! En 1955, les spectateurs eurent aussi droit à Un missionnaire avec l'acteur Charles Vanel en bon père parti convertir les masses africaines. Et, à la fin de sa carrière, Maurice Cloche réalisa Mais toi, tu es Pierre (1971), œuvre consacrés à l'homme qui renia le Christ par trois fois mais qui n'en finit pas moins par devenir le premier pape.
Pierre Fresnay en Saint Vincent de Paul dans Monsieur Vincent (1947) de Maurice Cloche
Paradoxalement, Maurice Cloche se plut également à tourner des longs métrages sur la prostitution comme Marchands de filles (1957) ou Les filles de la nuit (1957)... Il signa également Quand vient l'amour (1955), Adorables démons (1956) et Prisons de femmes (1958)... Visiblement, c'était pas facile de traiter seulement de sujets à haute tenue religieuse, fallait parfois relâcher la pression. On doit par ailleurs à Maurice Cloche deux adaptations de La porteuse de pain, le mélo effroyable de Xavier de Montepin qui fit pleurer la France entière, l'une en 1950 avec Vivi Gioi dans le rôle de l'inoxydable et de l'insubmersible Jeanne Fortier, l'autre en 1962 avec Suzanne Flon. Les deux versions, il va sans dire, furent des triomphes.
Au crépuscule de sa carrière cinématographique, Maurice Cloche, en roue libre, s'adonna avec délectation à l'espionnage de pacotille en alignant des sous-James Bond comme Coplan, agent secret FX18 (1964) avec Ken Clark, Baraka sur X13 (1965) avec Gérard Barray, et Le Vicomte règle ses comptes (1966) avec Kerwin Matthews, un ex-OSS 117.
A la fin de sa carrière, Maurice Cloche se spécialisa dans le film d'espionnage aux petits bras
Pas un mot à la reine-mère, l'histoire : A la faveur de la guerre, un jeune souverain exilé à Londres se fiance en cachette à la fille du roi de la conserve (le comble de la mésalliance !). On cache l'intrigue à la reine mère qui n'a qu'une ambition : voir son fils remonter sur le trône avec, au bras, une princesse digne de ce nom. Mais, la guerre terminée, le souverain est déposé par ses sujets. Plus rien ne s'oppose donc (et surtout pas la reine mère) à ce que le jeune roi épouse sa bien-aimée.
Suzanne Dehelly
La reine mère est jouée par Suzanne Dehelly, digne représentante du comique "coup de poing" des années 30 (selon l'expression employée par Olivier Barrot et Raymond Chirat dans Noir & Blanc, leur ouvrage consacré aux acteurs du cinéma français entre 1930 et 1960). Née en 1896, cette "grande bringue aux cheveux courts, pétulante comme pas deux" (dixit Jean Tulard dans son Dictionnaire du cinéma) resta pendant de nombreuses années spécialisée dans la grosse rigolade, dans des films où les réalisateurs lui laissent la bride sur le cou. Autant dire qu'on est à la limite de l'outrance ! Mais les films connaissent un gros succès, y a que ça qui compte.
De 1930 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Suzanne Dehelly enchaîne donc les rôles dans les vaudevilles, les comiques troupiers, les pochades marseillaises sous la direction de faiseurs sans originalité comme Maurice Cammage (Les bleus de la Marine, 1934 ; Une nuit de folie, 1934 ; La mariée du régiment, 1935 ; Un soir de bombe, 1935 ; Prête-moi ta femme, 1936 ; Une de la cavalerie, 1937 ; Mon député et sa femme, 1938), Henry Wulschleger (La prison en folie, 1933 ; Gargousse, 1939), René Pujol (Titin des Martigues, 1938 ; Ça, c'est du sport, 1938) ou Pierre Caron (Cinderella, 1937, où elle chante cet air fameux "Il a mal aux reins, Tintin !"). Suzanne Dehelly fait également partie de la distribution du seul film de science-fiction français tourné sous l'Occupation, Croisières sidérales (Zwobada, 1942), œuvre qui s'intéresse aux effets du... théorème de la relativité d'Einstein !
L'un des multiples films comiques troupiers tournés par Suzanne Dehelly dans les années 30 (image : fan-de-cinema.com)
Après la Seconde Guerre mondiale, Suzanne Dehelly aborde un registre dramatique à partir de L'idole (Esway, 1948), un des premiers films d'Yves Montand. Malheureusement, son public ne la reconnaît plus et, petit à petit, elle sombre dans l'anonymat.
On la croise quand même chez Henri Decoin (Au grand balcon, 1949), Marcel Pagnol (Topaze, 1950), Georges Lacombe (La nuit est mon royaume, 1951) et dans un certain nombre de films de la réalisatrice féministe avant l'heure Jacqueline Audry (Olivia, 1950 ; Huis clos, 1954 ; La garçonne, 1957 ; L'école des cocottes, 1957). L'actrice tente de se rappeler à son public en revenant au comique et en donnant la réplique à Bourvil et Fernandel dans, respectivement, Le rosier de Madame Husson (1950) et Sénéchal le Magnifique (1957), deux films de Jean Boyer. Mais c'est déjà trop tard. On l'aperçoit encore en 1961 dans Les livreurs (Girault) aux côtés de Francis Blanche et Darry Cowl. Suzanne Dehelly décède en 1968, complètement oubliée...
Ci-dessous, écoutez Suzanne Dehelly chanter "Il a mal aux reins, Tintin". Toute une époque !