Le Film du jour n°239 : Quand la chair succombe
Titre original : Senilita
Un film italien de Mauro BOLOGNINI (1961) avec Claudia Cardinale, Anthony Franciosa, Philippe Leroy-Beaulieu, Betsy Blair, Aldo Bufi-Landi, Nando Angelini...
A l’évocation de "la chair", j’en vois déjà quelques-uns frétiller d’aise, bercés qu’ils sont par le vague espoir de se rincer l’œil à moindre frais ! Il est vrai que le Film du jour souffre d’un passif certain avec l’emploi de ce mot, les lecteurs fidèles de cette rubrique se remémorant sans doute le giallo de sinistre mémoire Dans les replis de la chair (Bergonzelli, 1970). Mais il n’est pas inutile de rappeler que l’occurrence du mot chair dans le titre d’un film ne présume en rien du contenu de l’œuvre. Bref, pour parler clair, cela ne signifie pas forcément qu’il y a de la fesse et du nibard à l’écran !
Réalisé par Elia Kazan en 1949, L’héritage de la chair par exemple se contente de traiter du racisme aux États-Unis, quand Le monde, la chair et le diable (MacDougall, 1958) parle du péril atomique et des difficultés de la vie à trois (un Blanc, un Noir et une femme) après la destruction de la civilisation. Agrémenté des charmes de la sublime Daliah Lavi, Le démon dans la chair (Rondi, 1962) agite pour sa part le hochet de la sorcellerie, tandis que L’appel de la chair (Miraglia, 1971) entre plutôt dans la catégorie des films d’épouvante (avec femmes torturées en petite tenue, il est vrai...), à l’instar de La chair du diable (Francis, 1972) avec les excellents Christopher Lee et Vincent Price en habitués du genre...
L’affiche anglophone de L’appel de la chair (Miraglia, 1971) : où l’on comprend immédiatement que le mot chair dans le titre d’un film ne rime pas forcément avec gaudriole, quoique la nuisette échancrée soit de rigueur...
Réalisé en 1974 par Paul Morrissey avec la caution morale d’Andy Warhol, Chair pour Frankenstein tente également de satisfaire les amateurs d’épouvante qui ne crachent pas sur quelques corps dénudés, bien au contraire. Dans cette bande un peu démodée, le spectateur a le plaisir d’admirer longuement – et sous toutes les coutures au sens propre comme au sens figuré – les courbes de la magnifique Dalila di Lazzaro ainsi que celles, plus musculeuses, de Joe Dallesandro (les amateurs de la trilogie Flesh, Trash et Heat de Paul Morrissey avec le beau Joe ne seront pas, à cet égard, dépaysés outre mesure...).
Erotisme et épouvante font souvent bon ménage comme le montre clairement l’affiche de Chair pour Frankenstein (Morrissey, 1974)
Côté français, La chair de l’orchidée (Chéreau, 1975) ou Le cri de la chair (Jacquot, 1998) ne sont pas franchement des films érotiques (à moins d’être sacrément pervers...), même si Charlotte Rampling ou Isabelle Huppert n’ont jamais rechigné pour enlever leurs sous-vêtements tout au long de leur carrière. Les amateurs désinhibés de seins en goguette et de fesses en folie devront donc se rabattre sur des bandes comme Le cri de la chair (Bénazéraf, 1962), La chair en feu (Rutmann, 1968), Diamants sur ta chair nue (Efstratiadis, 1975) ou Tremblements de chair (Pallardy, 1975) pour satisfaire des besoins bien compréhensibles.
Réalisé par l’italien Mauro Bolognini en 1961, Quand la chair succombe, pour en revenir au Film du jour, est une énième adaptation cinématographique du célèbre roman de Pierre Louÿs « La femme et le pantin », publié en 1898. Une œuvre qui avait déjà été adaptée au cinéma sous ce nom par Jacques de Baroncelli en 1928 (avec Conchita Montenegro et Raymond Destac), Josef Von Sternberg en 1935 (avec Marlene Dietrich et Lionel Atwill), puis Julien Duvivier en 1958 (avec Brigitte Bardot et Antonio Vilar). Mais l’histoire a également inspiré Luis Bunuel pour Cet obscur objet du désir (1977), le grand metteur en scène ayant eu l’idée géniale de confier le rôle de la redoutable créature féminine à deux actrices différentes : la froide et distante Carole Bouquet et la volcanique et aguicheuse Angela Molina. De quoi affoler les boussoles sensuelles du pauvre Fernando Rey...
Carole Bouquet et Angela Molina, deux actrices pour un même personnage dans Cet obscur objet du désir (Bunuel, 1977), une adaptation de « La femme et le pantin » de Pierre Louÿs qui inspira aussi Quand la chair succombe
Quand la chair succombe, l’histoire : La quarantaine solitaire, Emilio (Anthony Franciosa) a perdu la tête en croisant le regard de la belle Angiolina (Claudia Cardinale) rencontrée par hasard sur le port de Trieste. Celle-ci se fait passer pour une jeune fille pauvre, honnête et pure... mais l’éhontée est une prostituée des plus dépravées. Emilio s’aperçoit de la supercherie trop tard : une relation haine-amour s’est déjà développée entre les deux amants. Emilio finit quand même par chasser la dame, et découvre que son meilleur ami a lui aussi bénéficié des faveurs de l’immonde créature. Définitivement accro aux appas d’Angiolina, Emilio va bien tenter de la reprendre... mais en vain.
Dans Quand la chair succombe, c’est l’acteur américain d’ascendance italienne Anthony (ou Tony) Franciosa qui endosse le rôle d’Emilio. Né en 1928 sous le patronyme d’Anthony Papaleo (Franciosa est le nom de jeune fille de sa mère), l’homme connut une gloire hollywoodienne fulgurante à la fin des années 50 grâce à son côté « latin lover », un sourire éclatant et une virilité indubitable.
Anthony Franciosa, la moquette de sortie, sous le charme d’une Claudia Cardinale coiffée à la Louise Brooks dans Quand la chair succombe
Se situant dans la mouvance de l’Actors Studio, Franciosa fait ses classes sur les scènes de théâtre new-yorkaises. C’est sur les planches qu’il se fait repérer dans le rôle du frère d’un héroïnomane dans Une poignée de neige, rôle qu’il reprend en 1957 au cinéma dans le film éponyme de Fred Zinnemann aux côtés de Don Murray et Eva Marie-Saint. Sa prestation lui vaut une nomination à l’Oscar du meilleur acteur. On a connu des débuts moins prestigieux.
Anthony Franciosa (1928-2006)
Le début de la carrière cinématographique de l’acteur est éblouissant. En 1957, on le retrouve au générique d’Un homme dans la foule d’Elia Kazan, face à Paul Newman et Orson Welles dans Les feux de l’été de Martin Ritt, dans les bras d’Anna Magnani dans Car sauvage est le vent de George Cukor, et aux côtés de Jean Simmons dans Cette nuit ou jamais de Robert Wise. En 1958, il interprète le peintre espagnol Goya face à une Ava Gardner incandescente dans La maja nue, un long métrage signé Henry Koster. En 1959, l’encore jeune acteur partage l’affiche du film En lettres de feu de Joseph Anthony avec Dean Martin et Shirley MacLaine.
Anthony Franciosa et Ava Gardner dans La maja nue (Koster, 1958)
Seul petit problème : Anthony Franciosa prend la grosse tête et acquiert rapidement une réputation de personnalité ingérable sur les plateaux. De fait, son comportement colérique et violent fait souvent la une des magazines de l’époque. Pour ne rien arranger, notre ami est marié depuis 1957 avec l’actrice tout aussi volcanique et tonitruante Shelley Winters, et leur relation orageuse défraie la chronique. Faut dire que Shelley Winters, d’un physique plutôt mastoc, avait un faible pour les beaux gosses au charme latin. Avant de mettre le grappin sur Anthony Franciosa, elle avait été l’épouse de Vittorio Gassman de 1952 à 1954. Son mariage avec Franciosa s’achèvera, lui, sur un divorce en 1960.
Anthony Franciosa et Shelley Winters au temps du bonheur
Les mêmes après trois années de mariage !
Dès le début des années 60, Anthony Franciosa se retrouve donc relégué sur des productions hollywoodiennes de moindre envergure et sa carrière cinématographique s’en ressent fortement. L’acteur se retourne alors de plus en plus vers la télévision et le cinéma européen, là où sa réputation est moins entachée. Parmi les films américains qu’il tourne à cette époque, on retiendra seulement L’école des jeunes mariés (Roy Hill, 1962) face à Jane Fonda et le western Rio Conchos (Douglas) où il croise Richard Boone et Stuart Whitman.
Jane Fonda et Anthony Franciosa dans L’école des jeunes mariés (Roy Hill, 1962)
Le reste ne vaut guère tripette et oscille de manière erratique entre bluettes sentimentales (Volupté, MacDougall, 1960, avec Gina Lollobrigida ; Trois filles à Madrid, Negulesco, 1964, avec Ann-Margret), films d’espions à la petite semaine (D pour Danger, Neame, 1965, avec Mélina Mercouri ; Une super-girl nommée Fathom, Martinson, 1967, avec Raquel Welch), polars anonymes (Le hold-up du siècle, Donohue, 1966, avec Frank Sinatra et Virna Lisi), westerns passés aux oubliettes de l’histoire du cinéma (Un colt nommé Gannon, Goldstone, 1968) et films de guerre poussifs (En pays ennemi, Keller, 1968, avec Anjanette Comer).
Anthony Franciosa dans Une super-girl nommée Fathom (Martinson, 1967)
Les années 70, très riches côté télévision pour l’acteur (les séries « Les règles du jeu » et « Matt Helm » notamment), n’apportent rien à la réputation d’Anthony Franciosa cinématographiquement parlant. On le retrouve entre Klaus Kinski et Michèle Mercier dans la production d’épouvante italienne Les fantômes de Hurlevent (Dawson, 1971) et dans des seconds rôles derrière Anthony Quinn (Meurtres dans la 110e rue, Shear, 1972), Paul Newman (La toile d’araignée, Rosenberg, 1975) ou James Coburn et Sophia Loren (L’arme au poing, Winner, 1979).
Seuls deux films italiens lui permettent temporairement de revenir en haut de l’affiche : le mélodrame érotique La cigala (Lattuada, 1979) – mais on se souvient surtout de la plastique irréprochable de Clio Goldsmith (désormais belle-sœur du Prince Charles d'Angleterre puisque mariée au frère de Camilla Parker-Bowles) – et le thriller Ténèbres (1982) de Dario Argento. Anthony Franciosa y joue le rôle d’un auteur de romans policiers dont les œuvres inspirent un mystérieux meurtrier.
Revu une dernière fois sur grand écran dans City Hall (Becker, 1996), Anthony Franciosa, père de trois enfants, dont deux nés de son mariage avec le mannequin allemand Rita Thiel épousée en 1970, meurt d’une crise cardiaque le 19 janvier 2006 à tout juste 77 ans. Coïncidence surprenante : Shelley Winters était décédée cinq jours plus tôt à l’âge de 85 ans.