Le Film du jour n°234 : Pitié pour les vamps
Un film français de Jean JOSIPOVICI (1956) avec Viviane Romance, Gisèle Pascal, Geneviève Kervine, Yves Vincent, Jean Meyer, Josette Arno, Gabrielle Dorziat.
Certains d’entre vous se diront peut-être que le Film du jour abuse, que votre rubrique préférée se moque du monde, qu’on vous a déjà servi Pitié pour les vamps… Grave erreur, cher lecteur ! Le Film du jour vous a déjà parlé de… Pas de pitié pour les femmes ! (Stengel, 1950). Ce qui n’est quand même pas la même chose.
Pour mémoire, le terme vamp, que la littérature de gare et le cinéma ont contribué à banaliser, vient du mot vampire et s’applique à une personne de sexe féminin dont le pouvoir de séduction cause la perte des hommes qui tombent dans ses rets… Un peu à la manière dont un vampire épuise ses victimes tout en les attirant de manière irrésistible. Souvent garce, la vamp est une femme fatale généralement d’une beauté envoûtante, sauf quand elles sont deux et qu’elles portent les prénoms de Gisèle et Lucienne – elles tentent alors de compenser leurs physiques « difficiles » par un humour tout relatif…
Les historiens du cinéma s’accordent à penser que la première vamp du cinéma n’est autre que l’américaine Theda Bara (1885-1955), de son vrai nom Theodosia Goodman (un patronyme pas vraiment sexy pour le compte…). En 1915, dans A Fool There Was de Frank Powell, l’actrice joue une créature redoutable qui, par ses charmes, cause la déchéance ou la mort des pauvres hommes (riches de préférence) sur lesquels elle jette son dévolu.
Theda Bara, la première vamp du cinéma, dans Cléopâtre (J. Gordon Edwards, 1917)
Aucune production n’avait encore représenté avec autant de force (et de succès au box-office) un tel personnage, simplement dénommé « Vampire » dans le film, qualificatif bientôt abrégé en Vamp (ça y est, vous avez pigé…). Les publicitaires de la Fox donnèrent libre court à leur imagination en inventant des origines exotiques et des aventures rocambolesques à la pauvre Theda Bara (anagramme de « Arab Death », tout un programme… surtout lorsqu’on sait que Theodosia était juive…), une jeune femme qui, dans la vie, était plutôt du genre bonnet de nuit.
Theda Bara, dont quasiment tous les films ont disparu mais qui dispose quand même de son étoile sur les trottoirs de Hollywood Boulevard, arrêta d’ailleurs le cinéma dès 1926 pour mener une vie pépère (mémère serait plus juste…) et préparer de bons petits plats pour son mari épousé en 1921, le réalisateur Charles Brabin. Un monsieur auteur de deux films que tout cinéphile digne de ce nom doit avoir vus : La bête de la cité (1932), l’un des premiers films de gangsters, et Le masque d’or (1932), chef-d’œuvre de l’âge d’or du fantastique avec Boris "Frankenstein" Karloff.
Qui aurait pu se douter, avec cette photo sulfureuse de Theda Bara, que l’actrice, à part d’avoir de gros mollets, était la reine du pot-au-feu à la maison !
Pitié pour les vamps, l’histoire : Flora (Viviane Romance) est une vedette de l’écran. Divorcée et fiancée du décorateur André, elle est inquiète de l’éducation de sa fille qui la juge très sévèrement. Flora a deux sœurs, Jany et Anne. Également actrice, Jany (Gisèle Pascal) est perturbée par ses rôles. Anne (Geneviève Kervine), quant à elle, rêve de devenir l’égale de ses aînées. Elle est aidée en cela par sa mère, qui a servi d’imprésario à ses trois filles. Mais les essais d’Anne ne sont guère concluants et la jeune fille cherche à causer un scandale qui la propulserait sur le devant de la scène. Elle réussit à devenir la maîtresse d’André… Quel pataquès !
Le Film du jour a déjà évoqué Geneviève Kervine (1931-1989), une actrice qui a surtout fait une belle carrière théâtrale aux côtés de son mari Jean Bretonnière et dont les prestations au cinéma (entre 1952 et 1962) se sont limitées à des rôles dans des petits films du samedi soir (voir Pas de souris dans le bizness). L’heure est donc venue de vous faire le portrait de Viviane Romance (Flora dans Pitié pour les vamps), qui fut LA vamp du cinéma français durant dix ans, entre 1936 et 1946.
Viviane Romance, la vamp du cinéma français, à la fin des années 30
Née Pauline Ortmans à Roubaix en 1912, Viviane Romance est passée à la postérité pour son rôle de garce sensuelle pour laquelle s’entredéchirent Jean Gabin et Charles Vanel dans La belle équipe (1936) de Julien Duvivier, un film caractéristique du Front populaire alors triomphant. L’actrice avait déjà croisé Jean Gabin un an plus tôt, dans La bandera (1935), hymne à la Légion étrangère signé également par Duvivier.
« Gorge toujours admirablement présentée, hanches faites pour porter le poids du songe, jeu de cuisses ou d’épaules d’une franchise expressive, cette spontanéité de la chair se résume dans la chaleur d’une bouche humide et entrouverte pour un mot qui ne peut être que celui de l’acquiescement », voilà comment le journaliste et écrivain Nino Franck décrivit-il Viviane Romance à la sortie de la projection de La belle équipe.
Jean Gabin et Viviane Romance dans La belle équipe (1936)
Danseuse au music-hall, puis au Moulin-Rouge (où elle n’avait pas hésité à gifler la meneuse de revue, une certaine Mistinguett), Viviane Romance avait été élue Miss Paris à 17 ans (avant d’être destituée pour cause de polichinelle dans le tiroir ; en effet, quelle honte…). L’actrice avait débuté au cinéma au détour des années 30 et avait accumulé de nombreux petits rôles (chez Marc Allégret, Jean Renoir, Marcel L’herbier, Claude Autant-Lara ou Maurice Tourneur notamment) avant d’éclater dans La belle équipe.
Dès 1936, elle devient l’égale de Michèle Morgan dans le star-system français, les deux jeunes femmes occupant néanmoins des emplois diamétralement opposés. A Viviane Romance, les oripeaux de femme fatale, de courtisane et d’allumeuse, à Morgan, les atours de demoiselles prudes, sensibles et éthérées. Viviane Romance donne alors la réplique aux grandes vedettes masculines de l’époque : Raimu dans L’étrange Monsieur Victor (Grémillon, 1937), Jean-Louis Barrault dans Le puritain (Musso, 1937), Tino Rossi dans Naples au baiser de feu (Genina, 1937), Pierre Blanchar dans Le joueur (Daquin, 1938), Dalio dans La maison du Maltais (Chenal, 1938). Forte de son statut, elle arrive même à imposer dans les castings son époux de l’époque, le falot Georges Flamant, avec qui elle fut mariée de 1937 à 1942 et que l’on retrouve à ses côtés dans Prisons de femmes (Richebé, 1938), Angelica (Choux, 1939), Vénus aveugle (Gance, 1940), Cartacalha, reine des gitans (Mathot, 1941), Feu sacré (Cloche, 1941) et Une femme dans la nuit (Gréville, 1941).
Encore un rôle d’aguicheuse pour Viviane Romance dans Prisons de femmes (Richebé, 1938)
De plus en plus déçue toutefois par les rôles qu’on lui confie, Viviane Romance décide de mettre la main à la pâte des scénarios… Très mauvaise idée : Feu sacré (Cloche, 1941) et La boîte aux rêves (Y. Allégret, 1943) sont éreintés par la critique. C’est le rôle-titre de Carmen, tourné par Christian-Jaque en 1943 d’après l’opéra de Bizet - avec pourtant un Jean Marais peu crédible en Don José - qui la remet en piste et en selle.
Légèrement inquiétée à la Libération, mais rapidement blanchie (elle fit en effet partie des acteurs « invités » en Allemagne en 1942 pour visiter les studios de Berlin, avec Junie Astor, René Dary, Suzy Delair, Danielle Darrieux et Albert Préjean), Viviane Romance renoue avec le franc succès en 1946 grâce, à nouveau, à Julien Duvivier. Dans Panique, adapté du roman de Simenon « Les fiançailles de Monsieur Hire », elle tient la dragée haute à Michel Simon, sans doute au sommet de son art dans ce film qui connut un remake en 1988 signé Patrice Leconte avec Michel Blanc et Sandrine Bonnaire dans les deux rôles principaux.
Michel Simon et Viviane Romance dans Panique (Duvivier, 1946) (image : www.toutlecine.com)
La suite est moins intéressante. La vamp à la sauce Viviane Romance est passée de mode et doit surtout laisser place à des beautés blondes plus pulpeuses (et surtout plus jeunes) à l’instar d’une Martine Carol dont l’aura monte en flèche à la fin des années 40. L’actrice s’improvise alors productrice en travaillant main dans la main avec son deuxième mari, l’acteur Clément Duhour (son époux de 1944 à 1952), déjà au générique de presque tous ses films depuis La route du bagne (Mathot, 1945). Malheureusement, Maya (Bernard, 1949) et Passion (Lampin, 1950) ne sont guère concluants.
Tentant aussi l’aventure italienne, Viviane Romance n’insiste pas devant le peu de retentissement de ses quelques essais transalpins. Les films qu’elle tourne par la suite sous la houlette de son troisième mari (de 1954 à 1956), le réalisateur Jean Josipovici, ne valent pas plus tripette, que ce soit La chair et le diable (1953), L’inspecteur connaît la musique (1955) ou Pitié pour les vamps (1956). Viviane Romance n’a plus le feu sacré, d’autant que le visage de l'actrice commence à accuser le temps qui passe. Et ça, dans les années 50, ça ne pardonne pas ! Ainsi, dans Gueule d’ange (Blistène, 1955), il faut vraiment se forcer pour croire que Maurice Ronet, jeune éphèbe inconséquent, puisse tomber amoureux fou des poches sous les yeux de la rombière avide de fric que joue Viviane Romance…
La gueule d’ange, ce n’est plus Viviane Romance mais... Maurice Ronet dans ce film de 1955