Le Film du jour n°229 : Méfiez-vous fillettes
Un film français d’Yves ALLEGRET (1957) avec Antonella Lualdi, Robert Hossein, Michèle Cordoue, Jean Gaven, André Luguet, Gérard Oury, Pierre Mondy.
Frère du réalisateur Marc Allégret (voir L'abominable homme des douanes), Yves Allégret, l’homme aux commandes de ce Méfiez-vous fillettes, n’est pas passé à la postérité pour cette œuvrette poussive, adaptée d’un roman de James Hadley Chase. Non, si le nom d’Yves Allégret est encore cher aux cœurs de quelques cinéphiles, c’est parce qu’il a signé coup sur coup, juste après la Seconde Guerre mondiale, trois quasi-chefs-d’œuvre du cinéma français : Dédée d’Anvers (1947), Une si jolie petite plage (1948) – avec Gérard Philipe et Madeleine Robinson – et Manèges (1949). Des films noirs au réalisme désespéré qui doivent aussi beaucoup au scénariste Jacques Sigurd (Une si jolie petite plage et Manèges) et aux jeux de Bernard Blier et de Simone Signoret (Dédée d’Anvers et Manèges). Une Simone Signoret qui fut l’épouse du réalisateur de 1944 à 1949.
Catherine Allégret, née en 1946 de l’union de Simone Signoret et d’Yves Allégret, avec ses parents (image : cinereves.com)
Né en 1907 et décédé en 1987, Yves Allégret met le pied dans le monde du cinéma en tant qu’assistant de son frère Marc au début des années 30. Mais il est également assistant-réalisateur sur le tournage d’Une partie de campagne (1936) de Jean Renoir et signe quelques adaptations et scénarios. C’est en 1940 en zone libre qu’il signe son premier long métrage, Tobie est un ange, avec Pierre Brasseur. Un coup d’essai qui est aussi un coup dans l’eau, car la pellicule est entièrement détruite lors d’un incendie.
Après une adaptation de Labiche cosignée sous le nom d’Yves Champlain avec Marc Allégret et Marcel Achard (Les deux timides, 1941), puis une œuvre au service de la tétanisante Viviane Romance (La boîte aux rêves, 1944), Yves Allégret entre vraiment dans la cour des grands avec Les démons de l’aube (1945), film de guerre sur fond de débarquement de Provence avec Georges Marchal et, pour la première fois, Simone Signoret. A l’affiche également, l’actrice Jacqueline Pierreux qui n’est autre que la mère, dans la vraie vie, de Jean-Pierre Léaud !
Les démons de l’aube, le premier « grand » film d’Yves Allégret
Au cours des années 50, Yves Allégret, qui entrera dans le collimateur de la Nouvelle vague (à l’instar d’un Claude Autant-Lara, d’un Jean Delannoy, d’un René Clément, fustigés par François Truffaut dans son célèbre article contre le réalisme psychologique), va signer une douzaine de films. Dans le tas, on retiendra surtout Les orgueilleux (1953), sur un scénario de Sartre, avec Gérard Philipe en médecin alcoolique paumé dans une ville d’Amérique du Sud, et Michèle Morgan qui, une fois n’est pas coutume, fait tomber le corsage et retire même ses bas… On croit rêver !
Michèle Morgan dans Les orgueilleux (1953) d’Yves Allégret. Si ça, c’est pas une scène torride… (image : www.toutlecine.com)
C’est encore Gérard Philipe que l’on retrouve dans La meilleure part (1955), cette fois-ci dans le rôle d’un ingénieur travaillant sur la construction d’un barrage en Haute-Savoie et se heurtant à un collègue (Gérard Oury) peu soucieux de sécurité. On doit aussi à Yves Allégret le premier film où apparaît Alain Delon (Quand la femme s’en mêle, 1957) ainsi qu’une adaptation étouffe-chrétien du Germinal de Zola (Germinal, 1963). Rejeté dans l’oubli par la Nouvelle vague, le réalisateur signera un dernier film pour le cinéma en 1975, Mords pas, on t’aime, avec le petit Yves Coudray avec lequel il avait tourné pour la télévision le célèbre feuilleton « Graine d’ortie » qui fit pleurer toutes les chaumières françaises en 1973…
Méfiez-vous fillettes, l’histoire : A sa sortie de prison, Raven, un jeune gangster (Robert Hossein), n’a qu’une idée en téte : flinguer Mendetta, un caïd qu’il juge responsable de son arrestation. Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais, pour faire pression sur Raven qui est devenu calife à la place du calife par la force et la terreur, l’un des anciens hommes de confiance de Mendetta enlève la jolie Dany dont Raven s’est entiché et qui a été témoin de l’assassinat de Mendetta. Pendant que Léo, le mari de Dany, recherche son épouse, celle-ci est découverte par Raven au moment où, venant d’être violée par son gardien, la pauvrette tente de mettre fin à ses jours… Pour vous rassurer, je peux vous dire que Dany finira quand même par retrouver les bras de son mari !
Antonella Lualdi… et sa bretelle mutine
Dans Méfiez-vous fillettes, la jolie Dany est jouée par Antonella Lualdi, une actrice de la même génération que d’autres beautés transalpines qui tapèrent aussi dans l’œil du cinéma français telles Claudia Cardinale, Gina Lollobrigida, Alida Valli, Rossana Podesta (voir Elles sont dingues ces nénettes), Eleonora Rossi Drago (voir Dans les replis de la chair), Sandra Milo ou Gianna Maria Canale. Car, si Antonella Lualdi, née en 1931 à Beyrouth, démarre sa carrière cinématographique dès 1949 en Italie, c’est bien la France qui lui offre ses plus beaux rôles dans les années 50, notamment face à Daniel Gélin dans Adorables créatures (Christian-Jaque, 1952), puis aux côtés de Gérard Philipe et de Danielle Darrieux dans Le rouge et le noir (Autant-Lara, 1954) d’après Stendhal.
Gérard Philipe et Antonella Lualdi dans Le rouge et le noir (Autant-Lara, 1954)
Cette même année 1954, Antonella Lualdi épouse dans la vraie vie l’acteur italien Franco Interlenghi (leur fille, Antonella Interlenghi, née en 1960, joue notamment dans La cage aux folles III de Georges Lautner en 1985). Saisissant l’aubaine de ce couple glamour, plusieurs réalisateurs font alors tourner les deux tourtereaux ensemble. Monsieur et Madame Interlenghi jouent ainsi les jolis cœurs énamourés dans Il n’y a pas de plus grand amour (Bianchi, 1955), Les amoureux (Bolognini, 1955) et Nos plus belles années (Mattoli, 1955)… Pas très original, tout ça…
Couple à la ville, Antonella Lualdi et Franco Interlenghi dans Les Amoureux (Bolognini, 1955)
Tout en continuant sa carrière en Italie, Antonella Lualdi se voit encore confier de beaux rôles dans le cinéma français, notamment dans Une vie (Astruc, 1957), film adapté de l’œuvre éponyme de Maupassant, dans J’irai cracher sur vos tombes (Gast, 1959), d’après Boris Vian, ou dans l’excellent A double tour (1959) de Claude Chabrol, face à Jean-Paul Belmondo. Malheureusement, Antonella Lualdi passera les années 60 pratiquement exclusivement en Italie et ce pour tourner des films de production courante dans les genres qui font alors florès dans la péninsule.
Antonella Lualdi et Pedro Armendariz dans Les Titans (Tessari, 1961) (image : www.toutlecine.com)
La belle écume alors les péplums (Les Titans, Tessari, 1961), les films d’aventures pseudo-historiques (Les Mongols, Savona, 1961 ; Le Fils du Cid, Cottafavi, 1964) et les films de pirates mous du genou (Surcouf, le tigre des sept mers et Tonnerre sur l’Océan indien, 1966, le diptyque de Sergio Bergonzelli). A la fin des années 60, Antonella Lualdi, qui est sans doute passé à côté d’une grande carrière à la Claudia Cardinale, met alors la pédale douce sur le cinéma (d’autant que la vague érotique émergente ne lui plaît qu’à moitié… dommage pour nous…) et se tourne vers la télévision italienne et française. Ce qui ne l’empêche pas de poser à la fin des années 70 pour des revues au contenu plutôt « léger ».
Antonella Lualdi en une de « Playboy » en 1979
Dans les années 70, Antonella Lualdi est encore au sommet dans le cinéma français en jouant la femme de Paul (Serge Reggiani) dans le magnifique Vincent, François, Paul et les autres (Sautet, 1974). Depuis, on l’a malheureusement peu vue sur grand écran, la plupart des films policiers urbains à l’italienne qu’elle tourne à la fin des années 70 n’étant pas sortis dans l’Hexagone. Les fans d’Antonella Lualdi, l’âme en peine, sont donc contraints de suivre la trace de leur idole dans des séries TV (« D’Artagnan », « Lucien Leuwen », « Les Eygletière », etc.). La dernière apparition d’Antonella Lualdi sur les grands écrans hexagonaux date de 1985 (Une épine dans le cœur d’Alberto Lattuada avec Anthony Delon et Sophie Duez). Mais, entre 1992 et 2008, l’actrice n’a pas disparu corps et âme puisqu’elle a tenu l’emploi de la femme du juge Cordier (Pierre Mondy) dans les séries « Les Cordier, juge et fils » et « Commissaire Cordier » !
Pierre Mondy et Antonella Lualdi, mari et femme dans la série TV « Les Cordier : juge et flic »