Le Film du jour n°227 : Le désirable et le sublime
Un film français de José BENAZERAF (1969) avec Henri Piégay, Robert Audran, Ludia Lorenz, Lara Lane, Jane Avril.
"- Pourquoi couches-tu toujours avec la bonne
- Parce que ça me rembourse des charges sociales !"
Cet échange piquant, pris au hasard dans la filmographie pléthorique de José Bénazéraf, résume à lui seul le credo de ce réalisateur français né en 1922 et décédé le 1er décembre 2012 et considéré par beaucoup comme le père spirituel et intellectuel (tendance sociologie) du cinéma érotique, puis pornographique, en France. "Godard du X", "Antonioni de Pigalle" voire "Buñuel de l'érotisme" pour certains, monstre pseudo-philosophique poseur et prétentieux pour d'autres, José Bénazéraf s'était lancé dans le cinéma à la fin des années 50 en produisant des films "traditionnels" (Les lavandières du Portugal, 1957, de Pierre Gaspard-Huit ; La fille de Hambourg, 1958, d'Yves Allégret, etc.).
Le premier film signé Bénazéraf
Il signe sa première mise en scène en 1960 avec L'éternité pour nous, connu également sous le titre autrement plus explicite du Cri de la chair... Dans ce film que d'aucuns décrivent comme une Année dernière à Marienbad à la sauce érotique, on y découvre un certain Michel Lemoine, acteur mais aussi futur réalisateur de films olé-olé (voir Les mésaventures d'un lit trop accueillant) et, surtout, une dénommée Monique Just qui n'hésite pas à apparaître vêtue d'une robe mouillée et se caressant le sein. Nous ne sommes qu'en 1960... Autant dire que, pour un premier film, c'est un premier scandale ! Monique Just en profite, elle, pour exposer ses arguments sur la une des revues de cinéma de l'époque. Coquine, va !
Monique Just, une actrice... poitrinaire
Au cours des années 60, José Bénazéraf enchaîne les petits films de série B, tournés en quelques jours et parfois interdits par la censure pour cause d'obscénités. Ce fut le cas de Joe Caligula (1966) avec Gérard Blain, long métrage qui suit les aventures d'un petit truand ambitieux et totalement inhumain (d'où son surnom).
Les autorités justifièrent leur interdiction par l'extrême violence du film, sa brutalité et une grande complaisance dans le sadisme (tout ce qu'on aime au Film du jour...). Durant cette décennie, José Bénazéraf signe aussi La drogue du vice (1963), connu aussi sous le nom de Concerto de la peur (avec Jean-Pierre Kalfon), L'enfer dans la peau/La nuit la plus longue (1964), L'enfer sur la plage (1966), Un épais manteau de sang (1967) (avec Valérie Lagrange), etc. Des films que vous pouvez, pour la plupart, retrouver au sein de deux coffrets DVD édités par K-films et dont certains extraits sont visibles sur le site http://josebenazeraf.fr/.
Un film interdit deux ans par la censure
En 1969, avec Le désirable et le sublime, notre Film du jour (on y arrive...), José Bénazéraf se lance dans un film intellectuel "pur", sorte de pamphlet conceptuel anti-bourgeois. Pour que le spectateur en soit bien conscient, le réalisateur donne ses intentions dès le début du long métrage : "Ceci n'est pas un film, du moins au sens contemporain du terme. C'est une sorte d’Éloge de la Folie - qu’Érasme me pardonne - dans la mesure où cette aliénation consiste à refuser le Monde et la Société contemporaine. L'Irréel prolongeant le Réel, le complétant, le sublimant, s'y mêlant intimement, le seule fenêtre de cette aliénation, le seul contact de cet univers abstrait avec le monde extérieur étant la télévision". On peut craindre le pire... et, pour certains, effectivement c'est pire (voir la critique du film sur www.nanarland.com) !
Le désirable et le sublime, l'histoire : Un couple mène une vie harmonieuse dans une propriété retirée de l'île de Chausey. Un soir, un ami vient dîner. Comme nous sommes en pleine période électorale (pour l'élection du successeur du général de Gaulle à la présidence de la République), la télé est allumée et y défile un aréopage d'hommes politiques. "Les passions vont se déchaîner entre l'abstraction des mots et la réalité du désir"...
Une actrice du Désirable et du sublime: est-elle désirable ? Est-elle sublime ? En tout cas, elle a pas l'air de rigoler... Normal, on ne rigole pas avec Bénazéraf !
Personnellement, j'ai failli sombrer dans l'aphasie avant la fin de l'extrait du film ci-dessus (alors le film...). Ce qui n'est apparemment pas le cas de tout le monde : "J'ai vu autrefois Le désirable et le sublime, un des deux ou trois films avec La cicatrice intérieure (NDLR : du redoutable Philippe Garrel) par exemple, dont les images restent en moi comme une Atlantide, une mystérieuse Thulé, un des châteaux du Graal ou peut-être de Sade, un endroit reclus, hautain et beau où l'amour de la mort, l'innocence de la liberté, jouent un jeu d'une lenteur solennelle. Une exploration ? Je ne peux plus supporter le cinéma ou la littérature quand ils ne sont pas cela", écrit un professeur de philosophie de la Sorbonne. Eh bien, mon gars, le Film du jour n'a pas envie de te connaître...
Dans les Fiches du cinéma parues en 1970, en face du Désirable et le sublime, on lit : à ne pas voir !