Le Film du jour n°193 : On a trouvé une femme nue
Un film français de Léo JOANNON (1934) avec Saturnin Fabre, Mireille Balin, Jean Aquistapace, Paul Bernard, Jeanne Loury, Maximilienne, Mila Parély...
Sachant que le même réalisateur avait livré deux ans plus tôt une autre œuvre cinématographique intitulée Il a été perdu une mariée (Joannon, 1932), on est en droit de se demander s'il ne s'agit pas de la même créature qui, en l'espace de vingt-quatre mois, est passé de l'état idyllique de jeune épousée drapée d'une robe virginale à celui, plus trivial, de femme perdue et échevelée en tenue d'Eve...
D'autant que, deux ans après la sortie de On a trouvé une femme nue, Léo Joannon n'avait guère, semble-t-il, changé d'idée fixe puisqu'il réalisa un moyen métrage intitulé... Mais n'te promène donc pas toute nue (1936) ! Toutefois, l'héroïne des trois films n'est pas interprétée par la même actrice. Dans On a trouvé une femme nue, c'est Mireille Balin qui promène ses arguments à l'air libre ; dans Mais n'te promène donc pas toute nue, c'est Arletty qui ne supporte plus ses vêtements.
Autre affiche... mais la femme est toujours aussi nue ! (image : www.cinema-francais.fr)
Quoi qu'il soit, Léo Joannon (1904-1969), le réalisateur du film d'aujourd'hui, est vilipendé par la critique officielle et les historiens du cinéma. Pas tellement pour ses films d'avant-guerre qui sont représentatifs d'une production somme toute courante et qui naviguent entre vaudevilles et adaptations de pièces de boulevard, mais plutôt pour ses longs métrages bouclés dans les années 50.
A jamais coupable d'avoir dirigé Atoll K (1951), le dernier Laurel et Hardy, alors que le duo est littéralement au bout du rouleau, Léo Joannon signa en effet plusieurs mélodrames dégoulinants à la morale saint-sulpicienne (salués haut et fort comme il se doit par l'Office catholique qui, à l'époque, se piquait de donner son avis sur tous les films à l'affiche...).
Dans Le défroqué (1953), Pierre Fresnay est ainsi un prêtre révolté contre Dieu qui profane le mystère de la messe dans un cabaret et oblige un jeune séminariste à boire le champagne ainsi consacré... avant d'aller tout dégobiller dans les WC ! Dans Le secret de sœur Angèle (1956), Sophie Desmarets est une novice qui s'apprête à prononcer ses vœux définitifs mais qui ne peut s'empêcher de sauver l'âme d'un assassin. Enfin, dans Le désert de Pigalle (1957), Annie Girardot en prostituée à l'âme endurcie tente de racheter un prêtre-ouvrier... Y a pas à dire, ça donne envie !
Sophie Desmarets joue les bonnes sœurs au grand cœur dans ce film de Léo Joannon
Pour ne pas conclure sur une mauvaise note, précisons que Léo Joannon fit jouer une toute jeune Danielle Darrieux dans le très bon Quelle drôle de gosse ! (1935), une Danielle Darrieux qu'il retrouvera quelques années plus tard pour Caprices (1941). Raimu passa également devant la caméra du réalisateur pour l'assez drôle (et légèrement grivois) Vous n'avez rien à déclarer ? (1937), film qui narre les affres de l'impuissance d'un jeune marié (Pierre Brasseur), survenue suite à l'apparition malencontreuse et inopportune d'un douanier suspicieux dans un compartiment d'un train de luxe où le couple consomme fébrilement sa lune de miel...
On doit aussi à Léo Joannon un bon thriller avec Marie Bell et Pierre Renoir (Quand minuit sonnera, 1936) et un excellent film de guerre et d'espionnage (Alerte en Méditerranée, 1938) avec Pierre Fresnay. Le réalisateur signa aussi deux Bourvil tardifs : Trois enfants dans le désordre (1966) et Les Arnaud (1967, avec également le chanteur Adamo).
On a trouvé une femme nue, l'histoire : La fille d'un aristocrate ruiné se rend par mégarde au bal de l'internat au cours duquel elle se retrouve déshabillée par des étudiants en folie... Elle parvient à s'enfuir et trouve refuge chez un charmant jeune homme... qu'elle finira par épouser. Car, les choses étant vachement bien faites tout de même, c'est le jeune homme que son père lui destinait et dont elle ne voulait pas entendre parler !
La "femme nue" du Film du jour est interprétée par Mireille Balin qui fut sans doute l'une des plus belles actrices des années 30 mais dont la destinée fut marquée au coin de la tragédie. Née en 1909, elle est à la fin des années 20 le mannequin vedette du couturier Patou. C'est le réalisateur allemand Georg Wilhelm Pabst qui la remarque et l'engage pour un petit rôle dans son Don Quichotte (1932), avec le célèbre chanteur d'opéra Fédor Chaliapine en pourfendeur de moulins.
Mireille Balin s'impose dès sa seconde apparition à l'écran aux côtés de Pierre Brasseur et Marguerite Moréno dans Le sexe faible (Siodmak, 1933). Sa carrière est lancée et elle accède finalement au statut de star en donnant la réplique à Jean Gabin au cœur de la casbah d'Alger dans Pépé le Moko (Duvivier, 1936), un Jean Gabin qu'elle retrouve et qu'elle vampe dans Gueule d'amour (Grémillon, 1937).
Gabin et Mireille Balin dans Gueule d'amour (Grémillon, 1937) (image : www.toutlecine.com)
Mireille Balin enchaîne aussitôt avec un autre gros succès, Naples au baiser de feu (Genina, 1937), où elle côtoie Michel Simon, Viviane Romance (autre vamp de l'époque) et, surtout, Tino Rossi. L'actrice et le chanteur corse vont en effet vivre une liaison passionnée qui durera jusqu'en 1941. Après une tentative malheureuse à Hollywood, Mireille Balin reprendra le chemin des studios français et italiens en 1938.
On la voit notamment partager l'affiche avec Erich von Stroheim dans deux films restés relativement célèbres : Menaces (Gréville, 1939, avec aussi Ginette Leclerc) et Macao, l'enfer du jeu (Delannoy, 1940). Deux films qui connaîtront des mésaventures durant l'Occupation, Von Stroheim étant particulièrement honni par les nazis (ses scènes dans Macao sont d'ailleurs retournées avec Pierre Renoir). Puis, au début des années 40, on retrouve Mireille Balin dans les studios de Cinecitta pour Les cadets de l'Alcazar (Genina, 1940), un film résolument pro-fasciste qui va lui valoir bien des déboires à la Libération, d'autant que l'actrice s'est éprise d'un officier de la Wehrmacht et ça, ça valait au moins la tonsure en 1944-1945 !
Tino Rossi, Corinne Luchaire, Michèle Morgan et Mireille Balin à la fin des années 30
Après avoir tourné quelques films sous l'Occupation (dont Dernier atout, 1942, de Jacques Becker), Mireille Balin est arrêtée par les FFI en 1944 dans le sud de la France alors que le couple franco-allemand tente de passer en Italie. Violentée, violée et incarcérée jusqu'en janvier 1945 (alors que son amant est sans doute abattu), Mireille Balin ne s'en relèvera jamais.
Sa carrière brisée, malade, oubliée, elle va sombrer doucement dans la misère et le dénuement le plus total. Prise en charge à la fin des années 50 par l'association "La roue tourne", œuvre d'aide aux artistes dans le besoin, Mireille Balin décède en novembre 1968. Selon le "Dictionnaire des comédiens français disparus" d'Yvan Foucart, on plaça dans son cercueil son porte-bonheur : un petit ours en peluche que lui avait offert Tino Rossi (je la vois déjà, la petite larme au coin de votre œil...).
Le dernier film tourné par Mireille Balin en 1946