Le Film du jour n°168 : Manina, la fille sans voiles
Un film français de Willy ROZIER (1952) avec Brigitte Bardot, Jean-François Calvé, Howard Vernon...
Passé aux oubliettes de l'histoire cinématographique, Manina, la fille sans voiles est le premier film où Brigitte Bardot, alors tout juste âgée de 18 ans, se voyait confier un "grand" rôle. La jeune actrice domine d'ailleurs l'affiche... avec ces vagues cachant opportunément une poitrine que l'on suppose opulente...
En attendant, papa Bardot "n'a autorisé sa fille à tourner qu'à la condition expresse que le metteur en scène s'engage par écrit à ce que la comédienne conserve une tenue décente en toutes circonstances" (dixit Christian Dureau dans "Brigitte Bardot : Et le cinéma créa sa star"). Eh oui, en cette année 1952, BB n'est pas encore majeure et elle ne se mariera à Roger Vadim qu'en décembre. Brigitte Bardot avait fait quelques mois plus tôt ses premiers pas sur un plateau de cinéma en jouant dans Le trou normand (1952) avec Bourvil en vedette.
Première apparition de Brigitte Bardot au cinéma aux côtés de Bourvil dans Le trou normand (Boyer, 1952) (image : www.toutlecine.com)
Manina, la fille sans voiles est à mettre au crédit du réalisateur Willy Rozier, qui savait apparemment repérer les sexe-symboles en puissance. Trois ans plus tôt, l'homme avait amorcé une autre bombe - Françoise Arnoul en l'occurrence - dans L'épave (1949). Né en 1901 et décédé en 1983, Willy Rozier est pourtant aujourd'hui bien oublié. Il est même classé au rayon des "artisans de troisième ordre" par certains historiens du cinéma...
Passionné de natation (il représenta la France aux Jeux olympiques d'Amsterdam en 1928), Willy Rozier fut acteur avant de passer à la réalisation en 1933 en signant 300 à l'heure, un film adapté d'une pièce de théâtre avec au casting Dorville, un comique populaire de l'époque, et Mona Goya. Ses passions sportives vont toutefois faire de lui un précurseur... tout du moins sur le plan technique (au niveau artistique, c'est autre chose...).
Avec Michel Rocca, son chef opérateur à partir de 1949 (Willy Rozier avait déjà à cette époque plus d'une douzaine de films au compteur), le réalisateur met au point une caméra sous-marine pour L'épave et dirige ses acteurs sous l'eau. Il renoue avec sa passion pour la natation et la plongée dans d'autres films comme Les trafiquants de la mer (1947) (avec Pierre Renoir) ou Manina, la fille sans voiles, justement. Ce dernier long métrage est d'ailleurs tourné au large de la Corse sur le Suraya, son propre bateau.
Françoise Arnoul a, elle aussi, 18 ans quand elle passe devant la caméra de Willy Rozier
Le goût de Willy Rozier pour l'aventure, la chasse et les safaris-photos l'amène aussi à tourner des films exotiques à l'autre bout du monde tels Le bagnard (1950), filmé en partie en Guyane, L'aventurière du Tchad (1953), avec Jean Danet et Madeleine Lebeau, ou Prisonniers de la brousse (1958), avec Georges Marchal. Il précède aussi la mode des espions à la James Bond en adaptant pour le cinéma les aventures de Callaghan, héros de Peter Cheney dans A toi de jouer Callaghan (1955), Plus de whisky pour Callaghan (1956) et Callaghan remet ça (1961), avec dans le rôle titre le musclé Tony Wright (bien oublié lui aussi).
Willy Rozier bouclera ses derniers longs métrages sous le signe de l'érotisme dans les années 70. Au générique de Dany la ravageuse (1971), on retrouve Sandra Jullien, vue un an plus tôt dans Je suis une nymphomane (1970) de Max Pecas. On peut avoir 70 ans et rester gaillard.
Magali de Vendeuil et Tony Wright dans Plus de whisky pour Callaghan de Willy Rozier (image : www.toutlecine.com)
A noter que Catherine Rozier de Wulf, la propre fille de Willy Rozier, tente aujourd'hui de rappeler son père au bon souvenir des cinéphiles. Elle a lancé en 2008 un site Web (www.willyrozier-and-co.com) dont l'objectif est de redonner vie à des metteurs en scène oubliés. Certains des films de Willy Rozier, dont Manina, la fille sans voiles, y sont accessibles en VOD. N'hésitez pas à y faire un tour.
Manina, la fille sans voiles, l'histoire : Gérard, un jeune étudiant, découvre en Corse un fragment d'amphore phénicienne. Quelques années plus tard, il s'embarque à bord d'un bateau de trafiquants à la recherche du trésor qu'il pense avoir déniché. De retour sur l'île de Beauté, il s'éprend de la jeune Manina. Les vestiges sont retrouvés mais filent sous le nez de Gérard (eh oui, les trafiquants, emmenés par le méchant Eric, n'avaient pas dit leur dernier mot). Gérard, resté pauvre, se consolera avec l'amour de Manina. On peut donc résumer le film en une seule phrase : Adieu le trésor, bonjour l'amie. Petit clin d’œil à Salut l'ami, adieu le trésor (S. Corbucci, 1981) des inénarrables Bud Spencer et Terence Hill.
Howard Vernon
Le costume du méchant de Manina, la fille sans voiles est endossé par l'acteur suisse Howard Vernon (1914-1996), un acteur que les amateurs des films de Jesus Franco connaissent bien ! C'est avec le prolifique réalisateur espagnol que Howard Vernon créa le personnage du célèbre docteur Orloff dans L'horrible docteur Orloff (1961).
Pendant les trente ans qui suivront, l'acteur enchaînera à une cadence effrénée les tournages avec Jesus Franco. On compte en effet pas moins de trente films d'épouvante et de bandes érotiques avec le Suisse devant la caméra et l'Ibère derrière ! En donner la liste ici serait trop fastidieux, mais en voici quelques échantillons aux titres particulièrement évocateurs : Le sadique baron Von Claus (1962), Dans les griffes du maniaque (1965), Ça barde chez les mignonnes (1967), Sylvia dans l'extase (1970), Journal intime d'une nymphomane (1972), Les exploits érotiques de Frankenstein (1972), Trois filles nues dans l'île de Robinson (1972), Les exploits érotiques de Maciste dans l'Atlantide (1973), Le miroir obscène (1973), Quartier de femmes (1974), Des filles pour le bloc 9 (1977), La chute de la maison Usher (1982), Les prédateurs de la nuit (1988), etc.
Howard Vernon dans L'horrible docteur Orloff de Jesus Franco
C'est en 1945 en France que Howard Vernon tenta sa chance au cinéma. Dès l'immédiat après-guerre, on le voit dans une quinzaine de films dont Boule de suif (Christian-Jaque, 1945), Le père tranquille (Dréville, 1946), Les jeux sont faits (Delannoy, 1947) ou Le diable boiteux (Guitry, 1947). Son rôle d'officier allemand dans Le silence de la mer (Melville, 1948) reste à juste titre célèbre et lui permet d'accéder au rang de vedette.
Howard Vernon dans Le silence de la mer (Melville, 1948)
Jusqu'à sa mort, Howard Vernon n'arrêtera pas de tourner, parfois pour les plus grands - Guitry et Melville à plusieurs reprises, Fritz Lang (Le diabolique Docteur Mabuse, 1960), Godard (Alphaville, 1965), Woody Allen (Guerre et amour, 1974), Straub et Huillet (La mort d'Empédocle, 1987 ; Noir péché, 1989) -, mais souvent, pour d'infâmes tâcherons (notamment dans le cadre de la firme de production française Eurociné, réputée pour sa pingrerie légendaire, voir Touch'pas à mon biniou et La vie amoureuse de l'homme invisible). On le retrouve ainsi aux génériques d'atrocités comme La vie amoureuse de l'homme invisible (P. Chevalier, 1970) ou Le lac des morts-vivants (Rollin, 1980). On le voit aussi dans les fameux Week-ends maléfiques du comte Zaroff (Lemoine, 1975).
Howard Vernon dans Delicatessen (Caro et Jeunet, 1991) (image : www.toutlecine.com)