Le Film du jour n°110 : Êtes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne ?
Un film français de Jean AUREL (1970) avec Jean Yanne, Françoise Fabian, Nicole Calfan, Francis Blanche, Roger Peyrefitte...
Êtes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne ? Cette phrase, absurde au premier abord, est tirée des dialogues du film du même nom, dialogues signés Jean Yanne. C'est en fait la phrase prononcée par le "héros" pour aborder une jeune femme qu'il souhaite mettre dans son lit... Une technique qui en vaut bien une autre, me direz-vous...
Ce long métrage est la première incursion de Jean Aurel, un réalisateur qui fut critique de cinéma dans les années 50, dans le registre de la comédie. L'essai, semble-t-il, ne fut guère convaincant. "Jean Aurel abdique toute velléité de mise en scène pour laisser la bride sur le cou à Jean Yanne, qui reprend son numéro d'éternel râleur, écrit Jean Tulard dans son Guide des films. Il fait preuve ici d'un anarchisme qui frise la démagogie". Sympa...
Jean Yanne (verso et recto) et Françoise Fabian, mari et femme dans Êtes vous fiancée...
Êtes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne ? l'histoire : Roger Blanchard (Jean Yanne) s'ennuie entre sa femme Marion (Françoise Fabian pourtant...) et ses enfants. Fonctionnaire au ministère des Loisirs (ce ministère n'existe évidemment plus, en ces temps où il faut travailler plus pour gagner... moins), il se console avec Annette, la nouvelle secrétaire (Nicole Calfan, qui entretint une longue liaison amoureuse avec Jean Yanne dans la vraie vie). Cette relation rend jaloux Gambaud (Francis Blanche), son chef de service, qui, en "bon chrétien", avertit Marion. Les époux se séparent ; Roger s'installe avec Annette, Marion avec un autre homme. Mais les enfants ne l'entendent pas de cette oreille et en profitent pour fuguer. L'incident rapproche les parents qui reprennent la vie commune. Mais voilà qu'au ministère, arrive une nouvelle secrétaire...
Né en 1925 et décédé en 1996, le réalisateur Jean Aurel fut responsable, au début des années 50, de la page Cinéma de la revue Arts, l'un des grands magazines culturels de l'époque. C'est lui qui embaucha François Truffaut comme pigiste après avoir remarqué le style et la verve des articles signés par ce dernier dans Les Cahiers du cinéma (et, notamment, le fameux papier intitulé "Une certaine tendance du cinéma français" et considéré par certains comme l'acte fondateur de la Nouvelle Vague). Les deux hommes entretiendront une relation amicale pendant toute leur vie.
Michel Piccoli et Elsa Martinelli dans De l'amour (1965), premier film de fiction signé par Jean Aurel
Jean Aurel débute sa carrière de réalisateur en tournant des courts métrages en 16 mm sur les peintres et la peinture (L'Affaire Manet, 1951 ; La Dame à la licorne, 1951, Fêtes galantes : le peintre Watteau, 1951). Parallèlement, il collabore à l'écriture de scénarios ou de dialogues pour des films mineurs (Le triporteur, J. Pinoteau, 1957) ou plus importants (Le trou, J. Becker, 1959). Le premier long métrage qu'il réalise est un film de montage d'archives (14-18, 1963) qui marque sa première collaboration étroite avec l'écrivain Cecil Saint-Laurent (passé à l'immortalité grâce à la série des Caroline chérie et titulaire du fauteuil 15 de l'Académie française de 1986 à 2000).
Les deux hommes travailleront ensemble sur six films. Suivront en effet un autre film documentaire (La bataille de France, 1964), puis De l'amour (1965) avec Anna Karina, Elsa Martinelli, Michel Piccoli et Jean Sorel, Lamiel (1967), film inspiré du roman inachevé éponyme de Stendhal avec Anna Karina et Michel Bouquet, Manon 70 (1968), transposition contemporaine du roman de l'abbé Prévost (Manon Lescaut) avec Catherine Deneuve et Sami Frey, puis Les femmes (1969), avec Brigitte Bardot et Maurice Ronet. Toutes ces adaptations littéraires furent toutefois âprement discutées par la critique.
Sami Frey et Catherine Deneuve dans Manon 70 (1968) de Jean Aurel
Avec Êtes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne, Jean Aurel change donc complètement de registre. Mais l'échec critique de cette œuvre (qui engrangea quand même 1,2 million d'entrées en France), puis celui de Comme un pot de fraises (1973), son film suivant avec Jean-Claude Brialy, mettront un terme définitif à sa carrière de réalisateur. Jean Aurel continuera toutefois d'écrire des scénarios ou des adaptations, notamment pour François Truffaut (L'amour en fuite, 1978 ; La femme d'à-côté, 1981 ; Vivement dimanche, 1982). Il réalisera un ultime documentaire pour le cinéma (Staline) en 1985.
Françoise Fabian dans Ma nuit chez Maud (Rohmer, 1969) (image : www.allocine.fr)
La femme de Jean Yanne dans Êtes-vous fiancée... est interprétée par Françoise Fabian. Née en 1933 en Algérie, Michele Cortes de Leon y Fabianera (son vrai nom) débute au théâtre en 1954. Elle apparaît pour la première fois sur grand écran en 1955 dans Cette sacrée gamine (Boisrond), long métrage à la gloire d'une Brigitte Bardot pas encore starisée, et dans un film policier avec Michel Simon, Mémoire d'un flic (Foucaud).
Très rapidement, les films s'enchaînent et Françoise Fabian alternent comédies populaires françaises, cinéma commercial italien et films d'auteur. Dans la première catégorie, elle figure notamment aux génériques du Couturier de ces dames (Boyer, 1956) avec Fernandel, et de La brune que voilà (Lamoureux, 1960) où elle côtoie Michèle Mercier. En Italie, elle tourne pour Giulio Petroni (Un dimanche d'été, 1963), Riccardo Freda (L'aigle de Florence, 1963) et Sergio Corbucci (Le spécialiste, 1969, western-spaghetti avec... Johnny Hallyday).
Françoise Fabian dans Raphaël ou le débauché (Deville, 1970) (image : www.toutlecine.com)
Louis Malle (Le voleur, 1966), Luis Bunuel (Belle de jour, 1966) et Eric Rohmer (Ma nuit chez Maud, 1969, où elle interprète la fameuse Maud) lui donne des rôles plus subtils. C'est en 1970 avec Raphaël ou le débauché de Michel Deville que Françoise Fabian trouve sans doute son meilleur rôle.
Malheureusement, dans les années qui suivent, on ne la voit pas dans des films vraiment marquants de l'histoire du cinéma, même si elle joue pour des metteurs en scène réputés comme Jacques Rivette (Out One : Spectre, 1974 ; Secret défense, 1997), Mauro Bolognini (Vertiges, 1975), Claude d'Anna (Le cercle des passions, 1983), André Delvaux (Benvenuta, 1983) ou Jacques Demy (Trois places pour le 26, 1988).
Claude Lelouch, Lino Ventura et Françoise Fabian sur le tournage de La bonne année (1972) (image : www.toutlecine.com)
Menant en parallèle une riche carrière à la télévision ("Les dames de la côte") et au théâtre, elle est aussi Madame Claude dans le film du même nom de Just Jaeckin en 1977, figure dans le seul long métrage réalisé par Françoise Sagan (Les fougères bleues, 1975) et continue de jouer dans des films populaires : La bonne année (Lelouch, 1972), Salut l'artiste (Robert, 1973), Deux heures moins le quart avant Jésus Christ (Yanne, 1982), L'ami de Vincent (Granier-Deferre, 1983), etc. On voit aussi Françoise Fabian chez Manoel de Oliveira (La lettre, 1998), Danièle Thompson (La bûche, 1999) et François Ozon (5x2, 2004).
Alors qu'elle avait limité ses apparitions sur grand écran entre 1990 et 2006, Françoise Fabian a repris avec entrain le chemin des studios de cinéma ces dernières années. Depuis 2007, l'actrice, toujours magnifique, a déjà figuré aux génériques d'une dizaine de films dont LOL (Azuelos, 2007), Rapt (Belvaux, 2008), L'arbre et la forêt (Ducastel et Martineau, 2009) - où elle forme un couple irrésistible avec Guy Marchand - et Comme les cinq doigts de la main (Arcady, 2009). Françoise Fabian a aussi partagé avec Gérard Depardieu l'affiche de Je n'ai rien oublié de Bruno Chiche, triller "familial" sorti en salles en mars 2011, et interprété la grand-mère légèrement barrée de Guillaume Gallienne dans Les garçons et Guillaume, à table ! (Gallienne, 2012), nomination au César de la meilleure actrice dans un second rôle à la clé !
Françoise Fabian et Guy Marchand dans L'arbre et la forêt (Ducastel et Martineau, 2009) (image : www.toutlecine.com)
Françoise Fabian a été mariée au grand réalisateur français Jacques Becker (1906-1960), ainsi qu'à l'acteur-réalisateur Marcel Bozzuffi (1929-1988).