Le bogoss du jour n°3 : Marc Porel
La carrière cinématographique de l'acteur français Marc Porel, passé de vie à trépas à seulement 34 ans, aurait pu être l'égale de celle d'un Alain Delon dont il partageait à la fois le charisme et la séduction. La vie - et un tempérament particulièrement autodestructeur - en ont décidé autrement.
De son vrai nom Marc Michel Marrier de Lagatinerie, Marc Porel, dès le berceau, a tous les atouts pour percer rapidement dans le monde du cinéma, puisque ses parents ne sont autres que le couple d'acteurs formé par Jacqueline Porel et Gérard Landry.
Petite-fille de la grande tragédienne Réjane et forte d'une assez brillante carrière sur grand écran dans les années 1940 et 1950, Jacqueline Porel, née en 1918, a épousé en premières noces François Périer. A sa naissance en janvier 1949, le jeune Marc vient donc compléter une fratrie déjà forte de Jean-Marie Périer, futur photographe des années yéyé, Jean-Pierre Périer, futur assistant-metteur en scène, et Anne-Marie Périer, future journaliste et, accessoirement, future Madame Michel Sardou. Quant au père de Marc Porel, Gérard Landry (1912-1999), il a prêté sa prestance et sa carrure athlétique à une bonne centaine de films français et italiens.
Jean Gabin et Marc Porel dans Le Clan des Siciliens (1969)
C'est donc suite aux recommandations de papa et de maman que Costa-Gavras confie à Marc Porel, jeune homme à la belle gueule et au physique avantageux, son premier (petit) rôle au cinéma.
L'acteur débutant fait ses premiers pas devant une caméra dans Un homme de trop (1966), film à la distribution impressionnante (Michel Piccoli, Charles Vanel, Bruno Cremer, Jacques Perrin, François Périer, etc.). La carrière du jeune acteur est lancée et les rôles s'enchaînent. Mais c'est surtout sous le patronage d'Alain Delon et de Jean Gabin que Marc Porel va rapidement connaître la célébrité (trop rapidement sans doute pour une personnalité déjà fragilisée par le suicide de son frère Jean-Pierre Périer en 1966, à l'âge de seulement 23 ans).
Marc Porel dans Les Aveux les plus doux (Molinaro, 1970)
Face à Delon, Marc Porel campe l'un des fils du chef de « famille » interprété par Jean Gabin dans Le Clan des Siciliens (Verneuil, 1969). Dans la foulée, il devient le petit-fils drogué du patriarche Gabin dans La Horse (Granier-Deferre, 1969). Georges Lautner, de son côté, lui confie le rôle du frère disparu face à Mimsy Farmer, la sœur, et Rita Hayworth, la mère, dans La Route de Salina (1969), long métrage tourné en pleine période hippie.
Dans Les Aveux les plus doux (Molinaro, 1970), aux côtés de la belle Caroline Cellier, Marc Porel marque les esprits en jeune voyou sexy en butte à la connerie de deux flics ignobles et sadiques interprétés avec délectation par Roger Hanin et Philippe Noiret. Cette même année 1970, l'acteur donne aussi la réplique à Claudine Auger dans Un peu de soleil dans l'eau froide, l'adaptation éponyme du roman de Françoise Sagan signée par Jacques Deray, et tourne dans Tumuc Humac, un film réalisé par son demi-frère Jean-Marie Périer avec Dani et François Périer.
Mimsy Farmer et Marc Porel, frère et sœur quasi incestueux dans La Route de Salina (1969)
Avec son visage angélique et sa virilité fragile, Marc Porel déchaîne alors les passions des midinettes, mais en ce début des années 1970, l'acteur n'a d'yeux que pour Nathalie Delon, tout juste divorcée d'Alain qui-vous-savez. La romance des deux tourtereaux durera presque quatre ans, mais s'effilochera lentement sous l'influence des paradis artificiels.
1972 est encore une grande année pour Marc Porel. Le réalisateur italien Luchino Visconti le retient pour son grandiose Ludwig - Le Crépuscule des dieux. Confirmant son statut de sexe-symbole, il revêt la livrée d'un valet dont tombe amoureux Louis II de Bavière. L'occasion pour Visconti de tourner une scène quelque peu « chaude » entre le Français et Helmut Berger, une scène visible uniquement dans la version longue du film... Le cinéaste transalpin refera appel une nouvelle fois à Marc Porel pour L'Innocent (1975), la dernière œuvre de l'Italien pour le grand écran (Visconti décède le 17 mars 1976).
Marc Porel dans L'Innocent (1976) de Luchino Visconti
1972, c'est aussi l'année où Marc Porel s'expatrie pour l'Italie. Il retrouve Alain Delon sur le tournage du polar Les Grands fusils de Duccio Tessari et tourne son premier giallo, La Longue nuit de l'exorcisme, mis en scène par Lucio Fulci.
Dans ce film, l'acteur endosse le rôle d'un prêtre, mais ne se départit pas de son charme naturel malgré un rôle plutôt lourd à porter (à la différence de la soutane qui lui sied comme un gant, oserait-on dire).
Marc Porel dans La Longue nuit de l'exorcisme (1972), ici avec Tomas Milian et Barbara Bouchet
A cette époque, la vie privée de Marc Porel frise l'instabilité chronique. Aventures sans lendemain et amourettes vite oubliées s'enchaînent. (Il entretient notamment une relation amoureuse avec Irène Papas sur le tournage de La Longue nuit de l'exorcisme.)
Mal dans sa peau, fragile, autodestructeur, l'acteur plonge inexorablement dans le monde de l'héroïne (la drogue, pas la Papas), tandis que sa carrière professionnelle s'enlise plus ou moins dans le cinéma italien de consommation courante (à l'exception notable de L'Innocent en 1975). Signe que le souvenir de Marc Porel s'efface inexorablement dans les mémoires des spectateurs français, la plupart des films qu'il va tourner dans la péninsule jusqu'en 1980 ne connaissent pas de sortie sur les écrans hexagonaux.
Marc Porel et Ursula Andress dans Ursula l'antigang (1974)
Durant cette période, l'acteur côtoie quand même Ursula Andress dans la comédie policière Ursula l'antigang (Di Leo, 1974) et donne la réplique à une autre belle gueule d'ange, en l'occurrence Ray Lovelock (voir Pardon, vous êtes normal ?), dans un polar urbain d'assez belle facture... paraît-il (Deux hommes à abattre a.k.a. Uomini si nasce poliziotti si muore, Deodato, 1975).
Marc Porel va aussi recroiser la route du réalisateur Lucio Fulci pour le film d'épouvante psychanalytique L'Emmurée vivante (1977). Dans ce dernier long métrage, il retrouve la belle Jennifer Un été 42 O'Neill qu'il a rencontrée sur le tournage de L'Innocent et dont il est tombé amoureux. Mais l'actrice, déjà en proie à ses propres démons, ne souhaitera pas s'engager dans une relation durable avec le jeune homme, effrayée par son instabilité émotionnelle et ses diverses dépendances.
Marc Porel, psy au chevet de la belle Jennifer O'Neill, dans L'Emmurée vivante (1977)
Les tournages n'en continuent pas moins de s'enchaîner en Italie. Mais Marc Porel n'y croit plus. Le jeune homme traîne un visage triste et désespéré de film en film et son jeu, affadi, s'en ressent. Fin 1977, il épouse l'actrice italienne Barbara Magnolfi croisée sur un plateau de cinéma. Malheureusement celle-ci, ne pouvant enrayer la dérive mortifère de l'acteur, plonge elle aussi dans l'enfer de la drogue. De leur union naîtra une fille, Camille, en 1980.
Alors que l'épaisseur de ses rôles va s'amenuisant, Marc Porel est encore aperçu en drogué (décidément...) face à Christian Clavier dans Je vais craquer (1979). Sur les écrans français, on le voit également dans La Désobéissance (Lado, 1981), œuvre adaptée du célèbre roman d'Alberto Moravia, et dans Le Marquis s'amuse (Monicelli, 1981), biographie assez drôle du marquis Del Grillo, figure anticonformiste du début du XIXe siècle interprétée par l'excellent Alberto Sordi.
Marc Porel et Annamaria Rizzoli torses nus dans Milano... difendersi o morire (1978)
Le 15 août 1983, alors qu'il passe des vacances à Casablanca, Marc Porel meurt officiellement d'une méningite. Il était en instance de divorce et venait de tourner un énième film d'une médiocrité abyssale, en l'occurrence un giallo érotique mou... du genou... avec la future diva du X italien Moana Pozzi.
Marc Porel était aussi le père d'une fille née d'un premier mariage. Venue au monde en 1968, Bérangère de Lagatinerie avait, toute jeunette, tâté du cinéma en jouant la fille d'Anny Duperey dans Trocadéro bleu citron (Schock, 1978), une nunucherie sur fond de skate-board (toute une époque...). Tragique répétition du destin, Bérangère de Lagatinerie est décédée elle aussi, dans la fleur de l'âge, à seulement 23 ans.