Vous voulez tout savoir sur les films aux titres rigolos, débiles, étranges, absurdes, nanardesques ? C'est ici !
Jean Aymar de Thou dit tout : J. Edgar
Publié le
par lefilmdujour
Clint Eastwood, 2011, film sorti en salles le 11 janvier 2012
Vue de ce côté-ci de l’Atlantique, la personnalité de J. Edgar Hoover est perçue au mieux comme douteuse, au pire comme exécrable. Faut dire que la poignée de films américains centrés sur cet homme qui fut patron du FBI pendant près de 40 ans l’ont généralement présenté sous des traits patibulaires (mais presque). De fait, Broderick Crawford, Ernest Borgnine ou Bob Hoskins, trois acteurs massifs qui ont interprété Hoover à l’écran et dont le talent est irréprochable, ne sont pas vraiment réputés pour leur mignon faciès, c’est le moins que l’on puisse dire. Étrange au premier abord, le choix de confier le rôle du directeur du FBI à Leonardo di Caprio, comédien au physique plutôt engageant, se révèle au contraire l’une des bonnes idées de J. Edgar, le dernier opus en date de Clint Eastwood.
A la réflexion, on imagine mal que J. Edgar Hoover ne fût pas doté d’un charme irrésistible pour que s’y consacrent corps et âme jusqu’à sa mort en 1972 Helen Gandy, sa fidèle secrétaire jouée avec une dévotion parfaite par Naomi Watts, et Clyde Tolson, le numéro deux du FBI interprété avec sensibilité par Armie Hammer (déjà excellent en jumeaux Winklevoss dans The Social Network). L’aspect dual du physique de Leonardo di Caprio (l’acteur, qui file allègrement sur ses 40 ans et vers la maturité avancée, n’arrive pas – malgré tous ses efforts – à se défaire de son visage poupin) s’accorde en fait idéalement à la personnalité particulièrement complexe de Hoover. Une complexité que Clint Eastwood réussit à rendre parfaitement à l’image… sans ennuyer une seule seconde un spectateur de plus en plus rassasié de biographies filmées à l’académisme distingué (nous aurions pu écrire pensums indigestes, mais nous sommes bien élevés).
Structuré à la manière d’un film noir avec flash-back, enchevêtrements temporels astucieux et voix off (au crépuscule de sa vie, Hoover conte les hauts faits de sa vie à une cohorte de biographes), J. Edgar parvient à retracer presque 50 ans d’histoire américaine à travers le filtre des souvenirs du directeur du FBI et de sa propension à l’autoglorification. Certes, en bon Américain, Clint Eastwood met bien l’accent sur les réels apports et qualités de Hoover : réussite de l’action du FBI contre le terrorisme dans les années 20 et le grand banditisme dans les années 30, formidable intuition quant à l’avenir de l’approche scientifique dans les enquêtes policières, sens de la communication, exploitation intelligente des potentialités marketing des « produits dérivés » (films de fiction à la gloire du FBI, BD vantant les exploits des G-Men, gadgets offerts dans les boîtes de céréales), etc.
Le réalisateur n’en démontre pas moins la paranoïa innée et achevée du personnage, sa haine viscérale du bolchévisme et du communisme, sa mauvaise foi, sa volonté farouche d’évincer les agents du FBI qui risqueraient de lui faire de l’ombre (tel l’agent Purvis qui mit un terme aux forfaits de Dillinger). Eastwood insiste aussi sur la fabuleuse capacité de nuisance que les fameux « dossiers secrets » assuraient à Hoover dans les sphères politique et publique et qui a certainement contribué à sa longévité à la tête du FBI. Comme le film le montre, non sans humour ; lors de chaque visite au président nouvellement élu et désireux de mettre rapidement - mais en vain - le bonhomme au placard. A cet égard, la réaction de Nixon à la mort de ce cher Edgar est proprement hilarante.
Au-delà d’une approche purement factuelle, J. Edgar explore aussi avec intelligence et subtilité la psyché du directeur du FBI dont la personnalité clivée a été profondément influencée par les deux personnes qui ont certainement compté le plus pour lui. Conforté dans son égocentrisme et sa propre valeur par une mère aimante et castratrice qui l’aurait préféré mort plutôt que de le voir céder à des inclinations amoureuses suspectes, J. Edgar Hoover est en effet constamment replacé devant ses propres défauts et contradictions par Clyde Tolson, son n°2, pour lequel son attirance est évidente mais constamment refoulée. Et c’est avec une grande sensibilité et pudeur qu’Eastwood traite cet aspect de la vie du directeur du FBI… tout en laissant le doute sur la concrétisation physique de cette relation, jamais vraiment prouvée. J. Edgar, c’est donc étonnamment aussi ça : une grande histoire d’amour !