Ciné glouglou n°24 : Opération dans le Pacifique

Publié le par lefilmdujour

Ciné glouglou n°24 : Opération dans le Pacifique
George Waggner, 1950
Est-ce que John Wayne est un acteur ? Joue-t-il tout en retenue et en finesse ou est-il tout simplement mauvais ? Une formidable « gueule » aux yeux légèrement bridés, un corps tout autant mémorable, raide dans l'uniforme, mais dont les regards et les mouvements n'expriment que leur propre vacuité ? Voilà une question que l'on se posera encore en l'an 2040... et à laquelle on ne trouvera pas de réponse dans ce film.
Illustration : le lieutenant-commandant Duke E. Gifford n'exprime aucune émotion quand il ordonne à l'équipage de plonger en urgence alors que son ami, son frère, son père (formidable Ward Bond) se meurent sur le pont. D'un autre côté, comment ne pas être bouleversé par ce regard d'une profonde tristesse et d'un lourd mépris qu'il lance à un matelot qui se réjouit de voir couler un sous-marin japonais qu'ils viennent de torpiller ?
Bref, John Wayne, géant parmi les géants de Hollywood, roi du non-dit selon les uns, insupportable réac et machiste pour les autres... Peu nous importe. La page du millénaire a été tournée, et il est possible d'apprécier cette prestation effectivement parfois curieusement atone mais ponctuée d'éclairs d'émotion à faire pâlir les plus beaux fleurons de l'Actor's Studio.
Bon, quand même, il embrasse vraiment comme une patate. On a mal pour la belle Patricia Neal et personne ne la croit quand elle qualifie cette muflerie maladroite « d'inoubliable ». John Wayne, quoi...
En 1951 la carrière du Duke est à son apogée. Opération dans le Pacifique, avec Iwo Jima et Les diables de Guadalcanal, fait partie de son entreprise de glorification de l'effort de guerre dans le Pacifique. John Wayne a également, comme chacun sait, contribué à la mémoire de guerre US sur le front européen avec Le jour le plus long et paiera plus tard de sa personne sur le front vietnamien avec Les bérets verts. Il est du reste tentant de diviser la carrière cinématographique de John Wayne en deux parties : la conquête du nouveau monde (le Far West) et la conquête du monde tout court (la Seconde Guerre mondiale). Ce en quoi il épouse et incarne parfaitement l'histoire des États-Unis au XXe siècle.
La musique du générique de Max Steiner s'inspire d'ailleurs incontestablement des films de John Ford et annonce les grands espaces de la Monument Valley. A cette différence près que le Duke traîne sa formidable carcasse nonchalante dans un sous-marin de l'US Navy, le Tonnerre, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le pitch : George Waggner à la réalisation, John Wayne devant la caméra. On ne peut être en présence d'un film médiocre. Mais on est loin d'un chef d’œuvre du Ciné glouglou. Le sujet du film est entièrement centré sur les péripéties d'un sous-marin en guerre (grenadages multiples, mitraillages d'avions, éperonnage), ponctuées des soubresauts, pendant les escales à Pearl Harbor, du couple John Wayne/Patricia Neal. Avec pour fil conducteur le perfectionnement des torpilles (celles-ci ayant la fâcheuse habitude d'exploser avant d'atteindre leur but ou de se cogner piteusement contre les coques japonaises sans occasionner d'autre désagrément qu'un "bong" inutile). C'est sûr que c'est pas comme ça qu'on va la gagner la guerre mondiale...
On notera l'exceptionnelle qualité de la photo ainsi que l'originalité des plans et des prises de vue. Si on ne s'ennuie jamais à bord, c'est avant tout grâce à ce travail qu'il est juste de souligner. Certains plans évoqueraient même le réalisme social et onirique du cinéma russe (on pense notamment à certaines scènes de départ).
Enfin, on ne partira pas sans décrire cette scène saisissante : en pleine mer, l'équipage visionne un film de... sous-marin et on entrevoit un gros plan de Cary Grant dans Destination Tokyo. Initiative somme toute assez osée. Quel est le message de George Waggner ? « Que dirait le cinéma s'il se regardait dans un miroir ? » Gageons que Godard aurait pas mal de choses à dire sur ce sujet et sur cette scène en particulier. En tout cas, le second quitte la salle et vient rejoindre John Wayne à qui il dit : « C'est fou ce qu'on fait faire à des sous-marins au cinéma ».
Fab Free

Publié dans Ciné glouglou

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