Alain Delon (1935-2024)
« César ne vieillit pas, il mûrit ; ses cheveux ne blanchissent pas, ils s'illuminent. César est immortel, pour longtemps. César a tout réussi, tout conquis, c'est un guépard, un samouraï, il ne doit rien à personne. Ni à Rocco, ni à ses frères, ni au clan des Siciliens. César est de la race des seigneurs, d'ailleurs le César du meilleur empereur a été décerné à César... Ave moi ! »
C’est par ces mots qu’Alain Delon fait ses adieux au cinéma dans Astérix aux Jeux olympiques (2008) de Frédéric Forestier et Thomas Langmann, sa dernière apparition sur grand écran dans un rôle de composition, celui de César, en citant certains de ses plus grands films : Rocco et ses frères (1960) et Le Guépard (1962) de Luchino Visconti, Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville, Le Clan des Siciliens (1969) de Henri Verneuil et La Race des seigneurs (1973) de Pierre Granier-Deferre. Figure emblématique du cinéma français, l’acteur a quitté définitivement la scène le 18 août 2024 à l’âge de 88 ans.
C’est par l’intermédiaire de deux actrices - que sa beauté avait séduites - qu’Alain Delon, rentré en France en 1956 après avoir passé trois ans sous les drapeaux et participé à la guerre d’Indochine, fait ses premiers pas dans le monde du cinéma.
Il rencontre d’abord Brigitte Auber, qui vient de tourner La Main au collet (1954) d’Alfred Hitchcock. Séduite par la beauté du jeune homme, elle le prend sous sa protection et l’emmène avec elle sur le festival de Cannes 1957 où il se lie d’amitié avec Jean-Claude Brialy et entre en contact avec le milieu du cinéma. C’est ensuite l’actrice Michèle Cordoue qui convainc son mari, le réalisateur Yves Allégret, de l’engager pour Quand la femme s’en mêle (1957).
Dans ses premiers pas au cinéma, le jeune Alain Delon y est remarqué dans un rôle malgré tout mineur, tout comme dans Sois belle et tais-toi… (1957) de Marc Allégret, le frère du précédent.
Son troisième film, Christine (1958) de Pierre Gaspard-Huit, marque sa rencontre avec Romy Schneider et les deux jeunes acteurs s’engagent dans une relation passionnée.
Les années 1960 sont celles de la consécration. C’est d’abord, aux côtés de Maurice Ronet et Marie Laforêt, Plein soleil (1959) réalisé par René Clément d’après le roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, puis Rocco et ses frères de Luchino Visconti et L’Eclipse (1961) de Michelangelo Antonioni, face à Monica Vitti.
Suivent Mélodie en sous-sol (1962) de Henri Verneuil (où il donne la réplique à son idole, Jean Gabin), Le Guépard, toujours de Visconti, face à Burt Lancaster et Claudia Cardinale, le film de cape et d’épée La Tulipe noire (1963) de Christian-Jaque (avec Virna Lisi), Les Félins (1963) de René Clément encore (avec Jane Fonda) et L’Insoumis (1964) d’Alain Cavalier, film où il passe pour la première fois à la production.
Après une parenthèse internationale, somme toute décevante, où il croise Ann-Margret et Jack Palance (Les Tueurs de San Francisco, 1964, de Ralph Nelson), Anthony Quinn (Les Centurions, 1965, de Mark Robson), Dean Martin (Texas nous voilà, 1966, de Michael Gordon) et Marianne Faithfull (La Motocyclette, 1967, de Jack Cardiff), Alain Delon devient Le Samouraï pour Jean-Pierre Melville dans un film « noir » devenu un classique. Il y donne la réplique à Nathalie Delon, épousée en 1964, un an après sa rupture avec Romy Schneider.
La décennie se clôt par le triomphe de La Piscine (1968) de Jacques Deray, dans lequel il retrouve Maurice Ronet et où il impose Romy Schneider aux producteurs. (Le film relancera la carrière de l’actrice en France.)
Stimulé par le succès du film, Alain Delon crée sa propre maison de production et permet le montage de Jeff (1968), réalisé par Jean Herman qui a déjà fait tourner l’acteur dans Adieu l’ami (1968) aux côtés d’un certain Charles Bronson. Ce film marque la rencontre avec Mireille Darc qui va partager la vie d’Alain Delon toutes les années 1970 et lui donner la réplique dans plusieurs autres longs métrages comme Madly (1970) de Roger Kahane, Les Seins de glace (1974) de Georges Lautner, L’Homme pressé (1976) d’Édouard Molinaro ou Mort d’un pourri (1977) de Georges Lautner.
Pour Alain Delon (en tant qu’acteur et producteur), le début des années 1970 se distingue aussi par deux très gros succès au cinéma. Dans Le Clan des Siciliens (1969) de Henri Verneuil, il retrouve Jean Gabin sept ans après Mélodie en sous-sol et Lino Ventura, déjà son partenaire dans Les Aventuriers (1966) de Robert Enrico. Dans Borsalino (1969) de Jacques Deray, il donne la réplique à l’autre grande star du moment, Jean-Paul Belmondo, déjà croisé dix ans plus tôt Sois belle et tais-toi.
La décennie 1970 est remarquable à plus d’un titre pour Alain Delon. Il travaille à nouveau pour Jean-Pierre Melville (Le Cercle rouge, 1970 et Un flic, 1972), donne la réplique par deux fois à Simone Signoret (La Veuve Couderc, 1971, de Pierre Granier-Deferre ; Les Granges brûlées, 1972, de Jean Chapot), retrouve Annie Girardot douze ans après Rocco dans Traitement de choc (1972) d’Alain Jessua et connaît plusieurs succès populaires avec ou sans Mireille Darc : Deux hommes dans la ville (1973) de José Giovanni (avec Jean Gabin encore), Les Seins de glace, Flic Story (1975) de Jacques Deray (avec Jean-Louis Trintignant), Le Gang (1976) de José Giovanni, L’Homme pressé, Mort d’un pourri (1977) de Georges Lautner, Trois hommes à abattre (1980) de Jacques Deray...
Durant ces mêmes années 1970, Alain Delon ne s’engage pas moins encore dans des films d’auteur, notamment avec les réalisateurs Joseph Losey (L’Assassinat de Trosky, 1971 : Monsieur Klein, 1976) et Valerio Zurlini (Le Professeur, 1972). Tout comme il le fera dans les années 1980 avec Volker Schlöndorff (Un amour de Swann, 1983, où il est le baron Charlus), Bertrand Blier (Notre histoire, 1984, qui lui vaut le César du meilleur acteur) et même Jean-Luc Godard (Nouvelle vague, 1989).
Alain Delon passe aussi à la réalisation en signant deux polars, Pour la peau d’un flic (1981) et Le Battant (1982), tous deux avec Anne Parillaud, sa compagne.
C’est dans la décennie 1980 qu’Alain Delon ralentit le rythme effréné de ses tournages pour ne travailler que sur un seul long métrage par an. Mais certains de ces films ne rencontrent pas le succès escompté comme Le Choc (198) de Robin Davis (avec Catherine Deneuve), Le Passage (1986), film fantastique de René Manzor, Ne réveillez pas un flic qui dort (1988) de José Pinheiro ou le thriller Dancing Machine (1990) de Gilles Béhat. L’acteur travaille aussi pour la télévision en tournant dans la minisérie Cinéma (1988), une expérience qu’il réitèrera dans les années 2000 avec les séries Fabio Montale et Frank Riva.
L’histoire d’amour entre Alain Delon et le cinéma semble alors définitivement enterrée. Et, au cours de la décennie 1990, ses rôles d’importance se comptent sur les doigts d’une seule main. Il incarne un Casanova vieillissant dans Le Retour de Casanova (1991) d’Edouard Niermans, retrouve par deux fois le réalisateur Jacques Deray (Un crime, 1992 ; L’Ours en peluche, 1994), tourne sous la direction du l’écrivain-philosophe BHL (Le Jour et la nuit, 1996) et, finalement, s’engage encore une fois aux côtés de Belmondo dans Une chance sur deux (1997) de Patrice Leconte.
C’est le dernier grand rôle d’Alain Delon au cinéma qui se tourne alors vers la télévision et le théâtre (où il avait fait une incursion remarquée aux côtés de Romy Schneider sous la direction de Visconti en 1961 dans la pièce Dommage qu’elle soit une putain…).
Alain Delon, honoré par une Palme d’honneur en 2019 pour l’ensemble de sa carrière, avait décroché en 1964 une nomination au Golden Globe de la révélation masculine pour le rôle de Tancrède dans Le Guépard.