Le Film du jour n°251 : Les jambes en l'air
Un film français de Jean DEWEVER (1970) avec Georges Géret, Sylva Koscina, Maria Schneider, Dominique Villermet, Christian Barbier, Jean-Claude Massoulier...
Oui, je sais, le titre et l’affiche peuvent prêter à confusion. Mais le Film du jour a fait un effort et, une fois n’est pas coutume, a résisté à son penchant naturel qui l’attire irrésistiblement vers des bandes où les paires de nibards jaillissent à l’écran plus souvent qu’à leur tour… Non, Les jambes en l’air – dont le titre volontairement racoleur était quand même censé attirer le chaland en chaleur – n’est décidément pas un film érotique.
L’œuvre n’est pas non plus une apologie du métier d’hôtesse de l’air. Jacques Dutronc ne chantait-il pas « Toute ma vie j’ai rêvé d’être une hôtesse de l’air, toute ma vie j’ai rêvé d’avoir les fesses en l’air ». Si ces charmantes dames des compagnies aériennes ont le joufflu à 30 000 pieds, on peut en effet supposer que ce qui relie leurs postérieurs au sol plane à la même altitude.
Et Les jambes en l’air est encore moins un documentaire médical qui vous expliquerait par a+b que le meilleur moyen d’éviter les éclatements de varices les jours de marche à pied imposés par les grèves de la RATP consiste à vous coucher sur le dos en levant les harpions…
Le suspens est insoutenable, je sais, et je ne vous ferai pas languir plus longtemps. En fait, Les jambes en l’air s’inscrit dans un certain courant libertaire qui a soufflé dans les quelques années postérieures à 1968. Inspirée librement du roman de Steinbeck "La rue de la Sardine", c'est l'histoire d'un couple, César et Favouille, deux marginaux qui partent à la recherche de l’une de leurs filles, qui a fugué.
Georges Géret, Sylva Koscina et une actrice au décolleté extrêmement plongeant dans Les jambes en l’air (Dewever, 1971)
Les jambes en l’air, qui rencontra quelques difficultés pour être distribué à l’époque et qui sortit en cassette vidéo sous le titre de César Grandblaise, est signé par Jean Dewever, un réalisateur né en 1927 et décédé le 21 avril 2010. Un réalisateur pas vraiment connu car il n’a pu boucler, en tout et pour tout, que deux longs métrages de fiction pour le cinéma. Sorti de l’IDHEC, il fut stagiaire pour Jean Becker, puis premier assistant sur des films de Jean Laviron (Au diable la vertu, 1952, Légère et court-vêtue, 1952, Votre dévoué Blake, 1954), Yves Ciampi (Les héros sont fatigués, 1955) ou Roger Vadim (Les bijoutiers du clair de lune, 1957).
Mais c’est dans le court métrage documentaire que Jean Dewever se tailla d’abord une petite réputation. Avec La crise du logement (1955), Prix Louis-Lumière 1956, il mit le doigt sur les conditions de vie exécrables d’une partie de la population française dix ans après la fin de la guerre. Délibérément subversif, le film fit grincer les dents de certains ministres et faillit se faire interdire…
Le premier long métrage signé par Jean Dewever pour le cinéma… où l’on voit que Français et Allemands partageaient les mêmes plaisirs.
Avec Les honneurs de la guerre (1960), son premier long métrage, Jean Dewever fit également couler beaucoup d’encre… contre lui. Le film retrace les événements qui émaillent une journée pas comme les autres dans un petit village des Deux-Sèvres au moment de la libération de la région durant l’été 1944. Il reste encore quelques soldats allemands dans le patelin et les civils français ne savent plus trop sur quel pied danser. D’autant que les Teutons, eux aussi, en ont ras le casque de la guerre. Le réalisateur traite tous les protagonistes, Français et Allemands, avec un regard sympathique et veut surtout démontrer l’absurdité de la guerre. Ce n’était pas vraiment le discours que voulait entendre le gouvernement français en pleine période gaulliste, quinze ans seulement après la fin des combats… Rappelons que Le chagrin et la pitié, documentaire réalisé en 1971 par Marcel Ophüls (dix ans après Les honneurs de la guerre donc), fut interdit de diffusion parce qu’il démontrait que tous les Français n’avaient pas été résistants !
On comprend donc sans difficulté que Jean Dewever ait eu du mal à continuer sa carrière au cinéma. Hormis Les jambes en l’air, le film qui nous intéresse ici, le réalisateur travailla essentiellement par la suite pour la télévision (pas forcément d’ailleurs dans de bonnes conditions).
Concluons en précisant que Jean Dewever, de manière purement chronologique, est souvent associé à la Nouvelle vague française, bien que son style s’en éloigne assez nettement. « J’ai trouvé la Nouvelle vague formidable parce que ces gens n’avaient rien à dire mais ils le disaient admirablement », confiait-il en 2007 au site Critikat.com.
Les jambes en l’air, l’histoire : Une famille au train de vie bohême voit l’une de ses filles (Dominique Villermet) quitter subitement le foyer pour un motif inconnu. Bien décidés à retrouver la fugitive et découvrir le fin mot de l’histoire, le père, la mère, les deux autres enfants et quelques amis entreprennent un voyage qui prend rapidement des allures de vacances, de délire hippie et de fête permanente.
La mère est jouée par l’actrice d’origine yougoslave Sylva Koscina dont le Film du jour vous a déjà largement vanté les mérites (voir Plus féroces que les mâles). Nous nous attarderons donc aujourd’hui sur Maria Schneider, alors âgée de 17 ans, et pas encore « immortalisée » par son rôle dans Le dernier tango à Paris (Bertolucci, 1972).
Maria Schneider
Née en mars 1952 et décédée en février 2011, Maria Schneider, en jouant l’une des filles de César Grandblaise, faisait là ses quasi premiers pas sur grand écran. Avant 1970, les spectateurs ne l’avaient vue que dans de tout petits rôles dans L’arbre de Noël (Young, 1969), où Bourvil et William Holden tenaient le haut de l’affiche, et dans Les femmes (Aurel, 1969), avec Brigitte Bardot en vedette. Une Brigitte Bardot qui n’avait pas hésité à héberger la toute jeune Maria Schneider en rupture avec sa famille.
Fille illégitime de l’acteur Daniel Gélin qui était alors mariée à Danièle Delorme et n’avait pas pris la peine de la reconnaître, la jeune fille, après s’être fâchée avec sa mère, était montée seule sur Paris, âgée de seulement quinze ans.
Après quelques films, un peu de théâtre et du mannequinat, Maria Schneider, 20 ans au compteur, fut donc retenue par Bernardo Bertolucci pour donner la réplique à Marlon Brando dans Le dernier tango à Paris. Histoire de sexe et de mort, le film valut à la jeune actrice une réputation sulfureuse, réputation qui lui collé à la peau toute sa vie.
Maria Schneider et Marlon Brando dans Le dernier tango à Paris (Bertolucci, 1972)
Il faut dire que la vie privée de Maria Schneider faisait, à l’époque, les choux gras des paparazzis. Multipliant les interviews à scandale, elle se fit même interner volontairement dans un hôpital psychiatrique à Rome lors du tournage de La baby-sitter (Clément, 1975) pour soutenir sa compagne d’alors, la photographe Joan Townsend.
A l’écran, l’actrice refuse pourtant tous les rôles qui se rapprochent de près ou de loin à celui qu’elle tient dans Le dernier tango à Paris. Dans La baby-sitter, c’est en effet Sydne Rome, et non Maria Schneider, qui joue la jeune femme désaxée, névrosée et toujours prompte à dévoiler sa poitrine (pour la plus grande joie du spectateur, il va sans dire)…
C’est à cette même époque que l’actrice donne la réplique à Jack Nicholson, en pleine crise d’identité, dans Profession : reporter (1974), le chef-d’œuvre d’Antonioni. Puis on la croise chez des auteurs d’accès difficile comme Jacques Rivette (Merry-Go-Round, 1977), Daniel Schmid (Violanta, 1977), Philippe Garrel (Voyage au pays des morts, 1977) ou Werner Schroeter (Weisse Reise, 1978).
Lors de la cérémonie des César en 1980, Maria Schneider se vit quand même attribuer une nomination au César de la meilleure actrice dans un second rôle pour sa prestation aux côtés de Miou-Miou dans La dérobade (Duval, 1979).
Maria Schneider et Jack Nicholson dans Profession : reporter (Antonioni, 1974)
Dans les années 80, Maria Schneider se perd un peu dans les paradis artificiels et ses apparitions au cinéma, parfois fugaces, se comptent sur les doigts des deux mains. Ce n’est qu’en 1991 qu’elle retrouve un rôle d’importance sur grand écran avec Au pays des Juliet, beau film de Mehdi Charef qui raconte l’histoire de trois femmes emprisonnées, libres le temps d’une journée. Méconnaissable, Maria Schneider y partage l’affiche avec Laure Duthilleul et Claire Nebout.
Laure Duthilleul et Maria Schneider dans Au pays des Juliet (Charef, 1991)
Par la suite, Maria Schneider n’aura joué que dans sept ou huit films pour le cinéma (on l’avait aperçue aussi dans certaines séries TV comme « Navarro » ou « Maigret »). Mais, à chaque fois, sa présence – même si ses rôles sont courts – est particulièrement prégnante. Avec son beau visage aux traits très marqués, Maria Schneider continuait de frapper l’imaginaire du spectateur. On se souvient notamment de son apparition quasi spectrale dans l’épisode nord-africain des Nuits fauves (Collard, 1992). On l’avait revue également chez Bertrand Blier (Les acteurs, 1999), Laetitia Masson (La repentie, 2001), Guillaume Nicloux (La clef, 2006) et Josiane Balasko (Cliente, 2007).
Au début de l’été 2010, Maria Schneider avait été faite chevalier des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand.